Questions d’archéométrie : Analyse instrumentale par activation neutronique
par Adelphine Bonneau, professeure adjointe au département de chimie et au département d’histoire à l’Université de Sherbrooke.
Largement employée pour l’étude des objets en céramique, en métal et en verre depuis les années 1950, l’analyse instrumentale par activation neutronique, appelée également de façon plus courte analyse par activation neutronique (AAN), est une méthode d’analyses permettant d’identifier et de quantifier une partie des éléments chimiques présents dans un échantillon, même dans de très faibles quantités (de l’ordre du ppm et moins).
Pour un rappel de chimie et pour lire sur les principes de la datation radiométrique et des méthodes basées sur la désintégration radioactive, nous vous conseillons la lecture de cette rubrique : Introduction à la datation radiométrique et méthodes basées sur la désintégration radioactiv
Analyses élémentaires vs analyses structurales et analyses moléculaires
La chimie analytique met à notre disposition plusieurs méthodes pour connaitre la composition des matériaux archéologiques. Elles peuvent être catégorisées en trois types (Figure 1) :
- Méthode d’analyses élémentaires : elles permettent d’identifier (et dans certains cas de quantifier) les éléments chimiques présents dans l’échantillon,
- Méthode d’analyses moléculaires : elles permettent d’identifier (et dans certains cas de quantifier) les liaisons chimiques présentes dans l’échantillon,
- Méthode d’analyses structurales : elles permettent d’identifier (et dans certains cas de quantifier) les phases cristallines présentes dans l’échantillon.
© A. Bonneau
Principe de l’analyse par activation neutronique (AAN)
L’AAN repose sur l’irradiation d’un échantillon dans un réacteur nucléaire par un flux de neutrons. Lorsque ces derniers interagissent avec la matière, ils transforment certains éléments chimiques en isotopes radioactifs. Afin de retrouver leur stabilité, ils émettent différents rayonnements caractéristiques des éléments chimiques présents dans l’échantillon (Figure 2).
© A. Bonneau
Il n’est pas possible de transformer tous les éléments chimiques du tableau périodique en isotopes radioactifs (Figure 3). D’autres encore pourront l’être, mais dans des proportions limitées, ce qui entrainera une limite de détection très haute, de l’ordre de plusieurs centaines voire de milliers de ppm, et une précision plus faible sur la mesure. Cela est notamment le cas pour le silicium et le calcium, qui sont deux éléments chimiques importants dans la composition des matériaux archéologiques.
A. Bonneau adapté du site NIST.gov
Application
L’AAN nécessite deux instruments : un réacteur nucléaire pour l’irradiation et un spectromètre gamma pour enregistrer les rayonnements gamma émis.
Avant l’analyse, l’échantillon est pesé et mis dans une capsule de polyéthylène. Le poids de l’échantillon et les éléments chimiques que nous souhaitons quantifier déterminent la durée d’exposition au flux de neutrons dans le réacteur. Cela peut aller de quelques secondes à plusieurs heures.
De retour du réacteur, la capsule est mise immédiatement dans le spectromètre gamma pour faire le comptage des rayons gamma émis par les isotopes créés ayant de courtes durées de vie, le plus souvent ceux appartenant aux éléments chimiques les plus légers tels que le sodium, l’aluminium ou le chlore. Une nouvelle analyse par spectroscopie gamma peut avoir lieu quelques jours, voire quelques semaines après l’irradiation dans le cas des éléments chimiques plus lourds comme le cobalt ou le fer. Le temps entre l’irradiation et la mesure des rayonnements gamma est déterminé en fonction de l’élément chimique à quantifier. Le spectromètre gamma fournit un spectre présentant des pics pour chaque type de rayonnement gamma reçu, correspondant à une énergie précise (en keV, kilo-électron-volt). La quantité de chaque élément chimique est déterminée par l’aire sous chaque pic, et comparée à des standards qui sont analysés en même temps que l’échantillon (Figure 4).
© A. Bonneau
Avantages et inconvénients de la méthode pour les matériaux archéologiques
Choix de l’échantillon
L’AAN est une méthode non destructive puisqu’il est possible de récupérer l’échantillon et d’effectuer d’autres analyses par la suite.
Dans certains cas, il est possible d’introduire l’objet au complet dans la capsule de polyéthylène, qui mesure environ 1 cm de largeur par 3 cm de hauteur. Nous parlons ici majoritairement de petits fragments de céramique ou de métal, ou encore de perles de verre (voir exemple ci-dessous). Néanmoins, dans la majorité des cas, il faudra prélever un échantillon sur l’objet, sous forme de poudre de préférence, pour réaliser l’analyse.
Retour de l’échantillon
Une fois la mesure terminée, l’échantillon est stocké dans une chape de plomb jusqu’à ce que sa radioactivité soit acceptable pour un retour sécuritaire à son propriétaire. Cette durée dépend des éléments chimiques quantifiés. Ainsi, dans le cas des matériaux archéologiques, il faut trouver un équilibre entre les éléments chimiques d’intérêt et le prêt autorisé des objets ou des échantillons. En effet, certains éléments chimiques, comme ceux appartenant à la famille des terres rares, forment des isotopes radioactifs à longue durée de vie (plusieurs années). Par ailleurs, il arrive de créer des isotopes avec des durées de vie plus longues que celles envisagées. Ils sont le plus souvent découverts lors des analyses avec le spectromètre gamma. Dans un tel cas de figure, la rétention des échantillons peut être rallongée de plusieurs mois voire années.
Homogénéité de la mesure et hétérogénéité de l’échantillon
L’AAN permet de mesurer les éléments chimiques dans l’entièreté de l’échantillon. Ainsi un matériau composé de plusieurs molécules et de plusieurs minéraux sera analysé dans sa globalité sans que l’échantillon soit détruit (ou mis en poudre dans certains cas). C’est ici un avantage considérable en comparaison de la méthode par fluorescence de rayons X qui requiert le plus souvent de mettre les échantillons en poudre fine et homogène pour avoir une quantification globale des éléments chimiques.
Néanmoins, cette analyse de la globalité de l’objet est aussi un inconvénient lorsque l’objet étudié présente plusieurs couches ou matériaux qu’il faut étudier indépendamment. Nous pouvons prendre pour exemple les céramiques glaçurées ou encore les verres composés de plusieurs couches de couleur différente. Ainsi, s’il est possible d’échantillonner chaque couche ou matériau indépendamment, il est possible d’utiliser l’AAN selon la méthode décrite précédemment. Lorsque l’échantillonnage n’est pas envisageable, il est donc nécessaire de recourir à une autre méthode d’analyses.
Limites analytiques en lien avec l’étude des matériaux archéologiques
Tel que présenté dans la figure 3, certains éléments chimiques du tableau périodique ne sont pas ou peu accessibles avec l’AAN. Parmi eux, certains sont d’un grand intérêt pour les études archéologiques, notamment pour la compréhension des processus de fabrication et pour les études de provenance, comme le calcium, l’aluminium, le cuivre, le plomb ou encore le bismuth. Ainsi il est souvent recommandé de coupler l’AAN avec une autre méthode élémentaire comme la fluorescence de rayons X afin d’avoir une vision d’ensemble de la composition de l’échantillon étudié.
Exemple d’application au Québec – Les perles de verre de facture européenne
Les perles de verre à l’époque moderne (XVIe – XIXe siècle) sont fabriquées par les Européens puis exportées comme monnaie d’échange dans les colonies. Elles sont un marqueur des relations et des réseaux d’échange entre Européens et populations autochtones. En Amérique du Nord, les chercheurs ont essayé de reconstituer ces réseaux à partir de l’analyse physico-chimique de la composition des perles de verre.
Depuis les années 1990, Ron Hancock, chercheur à l’université de Toronto puis à l’université McMaster, a analysé plus de 3000 perles de verre avec l’AAN, établissant une base de données de leur composition chimique.
Il s’est alors aperçu que la composition chimique du verre constituant les perles variait en fonction du temps. Ainsi, des perles retrouvées dans des contextes archéologiques très larges ont vu leur attribution chronologique raffinée. Par ailleurs, il a été démontré pour les perles blanches monochromes que l’opacifiant employé pour rendre le verre blanc opaque changeait au cours du temps (Figure 6). Les oxydes d’étain sont utilisés jusqu’à la fin du XVIIe siècle, puis sont remplacés par les antimoniates de calcium du XVIIIe au milieu du XIXe siècle, alors que l’arsenic commence à être introduit dans le verre au début du XIXe siècle.
© Jean-François Moreau
Cette étude des recettes de verre au cours du temps fut une grande avancée pour la compréhension de l’évolution des procédés de fabrication en Europe. Néanmoins, les éléments chimiques analysés étaient limités en raison de la nécessité de retourner les perles dans les réserves archéologiques et les musées, ne permettant pas une vision assez fine pour envisager une étude approfondie des réseaux d’échange. Ainsi, seuls le cobalt, l’étain, le cuivre, le sodium, l’aluminium, le manganèse, le chlore, le calcium, l’arsenic, l’antimoine et le potassium étaient enregistrés, laissant de côté un élément important de la fabrication des verres à l’époque moderne, le plomb.
Depuis, les analyses sur les perles de verre se poursuivent avec une autre méthode non destructive, l’ablation laser jumelée à un spectromètre de masse par plasma à couplage inductif (LA-ICP-MS). Les études récentes de Walder, et al. (2021) ont démontré que les analyses par AAN étaient comparables à celles obtenues par LA-ICP-MS, permettant d’utiliser la substantielle base de données montée par Ron Hancock et poursuivre les études des réseaux d’échange à travers ces menus objets.
En savoir plus
Information sur la méthode
Hamidatou, L., Slamene, H., Akhal, T., Zourane, B., 2013. Concepts, Instrumentation and Techniques of Neutron Activation Analysis, InTech.
Stuart, B.H. Chapter 10.3 : Neutron activation analysis, in Stuart, B.H., 2007, Analytical techniques in materials conservation, John Wiley & Sons, Chichester, pp. 385 - 389
Pollard, A.M., Heron, C., Armitage, R.A. Chapter 2.5 : Neutron activation analysis, in Pollard, A.M., Heron, C., Armitage, R.A., 2017. Archaeological Chemistry (3rd Edition), Royal Society of Chemistry, pp. 66-73
Information sur les études des perles de verre au Québec et en Amérique du Nord
Bonneau, A., Moreau, J.-F., Auger, R., Hancock, R.G., Émard, B., 2013. Analyses physico-chimiques des perles de traite en verre de facture européenne : quelles instrumentations pour quels résultats?, Archéologiques 26, 109-132.
Hancock, R.G.V., Aufreiter, S., Kenyon, I., 1997. European white glass trade beads as chronological and trade markers, Symposium on Materials Issues in Art and Archaeology V, Boston, Ma.
Moreau, J.F., Gratuze, B., Hancock, R.G.V., Lemarquand, M.B., 2011. The Dating of a Sixteenth Century Settlement in the Vicinity of Quebec City (Canada) by Means of Elemental Analysis of Glass Beads Through Thermal and Fast Neutron Activation Analyses, in: Turbanti-Memmi, I. (Ed.), Proceedings of the 37th International Symposium on Archaeometry, 13th - 16th May 2008, Siena, Italy, Springer Berlin Heidelberg, pp. 501-508.
Moreau, J.F., Hancock, R.G.V., Moussette, M., 2006. Toward a Chrono-Seriation Method Based on European Trade White Beads in Northeastern North America, Proceedings of the 34th International Symposium on Archaeometry, 85-90.
Walder, H., Petrus, J.A., Dussubieux, L., Hancock, R.G.V., Hawkins, A.L., 2021. Comparing Chemistries: Inter‐Laboratory Evaluation of Glass Bead Compositional Research in the Great Lakes Region, Archaeometry.