Les bagues à plaque dites « jésuites » :
Un bijou au coeur des relations franco-autochtones
Caroline Mercier
L’appellation « bague jésuite » apparaît en Amérique du Nord au début du XXe siècle. Elle désigne des bagues non serties en alliage cuivreux, parfois en alliage d’étain ou de plomb, possédant une plaque géométrique décorée. Contrairement à ce que les archéologues ont longtemps pensé, elles ne sont pas réservées aux efforts d’évangélisation menés par les missionnaires de la Compagnie de Jésus. Les plus récentes recherches montrent qu’elles jouent un rôle plus complexe dans les relations franco-autochtones des XVIIe et XVIIIe siècles.
Depuis le Moyen Âge, ce bijou décoré de motifs magico-religieux et sentimentaux est tantôt porté comme signe de dévotion ou comme talisman protecteur, tantôt offert en guise de cadeau galant ou de gage d’amour. Connues en France sous le nom de bagues porte-bonheur ou bagues de Roulier, elles sont encore portées par les classes populaires des XVIIIe et XIXe siècles. Or, de l’autre côté de l’Atlantique, les Autochtones d'Amérique du Nord s’approprient cet objet. Ils modifient la façon de le porter : certains glissent plusieurs bagues à chacun de leur doigt, d’autres les enfilent sur une mèche de cheveux ou une lanière de cuir pour en faire un pendentif. Ils lui accordent aussi de nouvelles significations : les parures en cuivre ont pour eux une grande valeur sociale et spirituelle. Elles assurent la protection des esprits de la nature, augmentent la puissance et montrent le prestige de celui qui les porte. Quelques motifs répertoriés sur les bagues représentent d’ailleurs de puissants symboles de vie, de fertilité et de courage.
Il est intéressant de noter les nombreuses techniques de mise en forme et de décoration combinées par les bijoutiers pour confectionner les différents modèles de bagues connues à ce jour. Celles-ci sont probablement fabriquées dans l’ouest de la France, puis acheminées par voie d’eau vers la côte atlantique. Tout porte à croire qu’elles transitent par La Rochelle (vers 1627-1720) et Bordeaux (vers 1671-1760), deux grands ports commerciaux chargés d’avitailler les navires à destination de la colonie. La base navale de Rochefort (vers 1666-1760), qui assure l’approvisionnement militaire et fournit les présents diplomatiques offerts aux Autochtones d'Amérique, représente un autre lieu d’embarquement possible.
En Amérique du Nord, les fouilles archéologiques révèlent leur présence sur des habitations euroaméricaines, des missions jésuites et sulpiciennes, des entrepôts gérés par l’administration coloniale, des forts, des postes de traite, des lieux de foire, des campements et même des sépultures autochtones. Les récits des explorateurs, des missionnaires et des coureurs de bois indiquent que des bagues sont échangées aux Autochtones contre des vivres et des menus services. Elles servent aussi de présents pour nouer des relations harmonieuses ou sceller des alliances commerciales et militaires. Les missionnaires en offrent à l’occasion pour récompenser les catéchumènes. Ce bijou, habituellement destiné aux femmes et aux enfants, accompagne des outils et d’autres parures appréciées des Premières Nations.
En circulant à travers le vaste réseau d’échanges constitué par les Français, les bagues se dispersent aux confins de la colonie. Dès le tournant du XVIIe siècle, elles circulent dans la vallée du Saint-Laurent, principale zone de peuplement français, et sur les territoires de leurs premiers alliés, les Innus (ou « Montagnais ») et les Hurons-Wendat. Dans la deuxième moitié du XVIIe siècle, elles gagnent les Pays d’en Haut, la Louisiane et la Baie d’Hudson. En empruntant les réseaux d’échanges autochtones ancestraux, elles rejoignent même des nations alliées de la Nouvelle-Angleterre, dont les Iroquois et les Narragansett.
De la métropole française jusqu’au cœur du continent nord-américain, les bagues à plaque dites « jésuites » possèdent de multiples usages et significations. La collection archéologique de référence d’artéfacts du Québec renferme des exemplaires qui rendent compte de cette grande diversité.
ARTÉFACTS DE CETTE FAMILLEAlain Vandal 2017, Creative Commons 4.0 (by-nc-nd) Pointe-à-Callière, Cité d’archéologie et d’histoire de Montréal
© Caroline Mercier 2010.