Archéologie de l’enfance : rendre l’enfant visible dans les collections archéologiques
Caroline Parent
L’étude de l’enfance en archéologie est relativement récente. Longtemps, l’enfant est demeuré « invisible » dans les données archéologiques. Or, les billes, les fragments de poupées en porcelaine ou de vaisselle miniature en céramique découverts sur les sites archéologiques de la période historique sont des témoins de jeux d’enfants. Aussi, les figurines mises au jour dans les contextes préhistoriques sont fréquemment identifiées comme des jouets d’enfants confirmant donc leur présence. Mais l’archéologie de l’enfance, c’est plus que ça.
L’archéologie de l’enfance implique l’étude du quotidien des enfants et de leur rôle dans la société. Dans notre définition actuelle de l’enfance, l’enfant est considéré comme un être dépendant et incomplet placé sous la supervision et la responsabilité des adultes. Ainsi, ce n’est qu’à l’âge adulte qu’il fait pleinement partie de la société et qu’il y joue un rôle. Toutefois, il est maintenant convenu que l’enfant est un acteur culturel important dans une société. Par exemple, à l’époque de la Révolution industrielle en Europe (19e siècle), les enfants prenaient une place considérable sur le marché du travail et participaient ainsi à l’économie capitaliste; étant considérés très tôt comme de petits adultes.
Plusieurs types de données archéologiques peuvent être utilisés pour étudier l’enfance. La culturelle matérielle en fait partie : qu’il s’agisse des objets eux-mêmes ou de leur distribution sur les sites archéologiques. Il faut cependant demeurer prudent, puisqu’un objet petit ou miniature ne doit pas nécessairement être associé à l’enfance. Ces petits objets peuvent avoir une fonction rituelle, votive ou funéraire; de là l’importance de considérer le contexte dans lequel il a été trouvé.
La culture matérielle permet entre autres d’étudier l’éducation des enfants, une éducation qui contribue à perpétuer la culture et permet à l’enfant d’accéder au monde des adultes. L’éducation se voit notamment dans les contextes de jeux : les jeux et les jouets à travers le temps, leur diffusion, leur rôle dans l’apprentissage des activités adultes et l’apprentissage des valeurs culturelles et des compétences sociales, leur rôle dans l’apprentissage de la gestion des tensions et des conflits et leur fonction d’unificateur social. C’est de loin le thème le plus étudié par les archéologues, probablement parce que les objets associés aux jeux et aux jouets sont les plus facilement identifiables.
La collection archéologique de référence du Québec propose un échantillon de diverses catégories d’objets associés à l’enfance. Un assemblage de billes représente l’importance des jeux d’habileté des enfants. Fréquentes dans les collections archéologiques de la période historique, les billes sont principalement datées du 18e au 20e siècle. Elles sont en pierre, en terre cuite commune, en grès, en porcelaine et en verre et proviennent toutes de la collection archéologique de référence de Place-Royale (site patrimonial du Vieux-Québec).
Les fouilles archéologiques effectuées au site Anderson (CeEt-950), situé dans la basse-ville de Québec, ont mis au jour une collection exceptionnelle provenant d'une fosse de latrines de la fin du 19e siècle. L’inscription d’un nom sur une brosse à dents a permis aux archéologues d’attribuer l’ensemble du dépôt à l’occupant Charles Théodore Pitl, marchand pour Weston Hunt à Québec et consul d'Allemagne entre 1871 et 1897, année de son décès. Il a été marié à Marie-Mathilda Lemelin et quatre enfants sont nés de cette union. Il est rare en archéologie de pouvoir attribuer des objets à des personnes en particulier. C’est pourquoi une sélection d’objets issus de ce dépôt, principalement les jouets de ces enfants, sont présentés.
L’éducation des enfants se voit aussi dans les contextes de travail, c’est-à-dire dans le cadre d’un apprentissage, par l’enfant, d’un savoir-faire particulier, notamment dans le domaine de l’artisanat (ex. : fabrication de poterie, couture, etc.). La collection archéologique de référence du Québec propose ainsi quelques objets que l’on peut attribuer à l’acquisition de compétences de production par les enfants. Enfin, l’éducation, c’est aussi scolaire : un certain nombre d’objets est associé à cet univers (ex. : ardoise d’écolier, crayons, objets pédagogiques, etc.).
L’alimentation du jeune enfant est un autre thème qu’il est possible d’étudier grâce à la culture matérielle, notamment l’allaitement artificiel rendu possible par l’utilisation du biberon. Six biberons sont présentés dans la collection archéologique de référence du Québec et ne représentent qu’une petite variété parmi l’ensemble des types disponibles sur le marché entre la fin du 18e et le début du 20e siècle. Leur étude permet néanmoins de reconnaître les caractéristiques de ces types de contenants en verre, voués à l'alimentation des jeunes enfants. Tout aussi importants, les thèmes de l’habillement (ex. : chaussures) et des soins de santé (ex. : brosse à dents, bouteilles contenant des médicaments spécifiquement conçus pour les enfants, prothèse, etc.) sont également présentés dans cette collection liée à l’enfance.
Enfin, il est possible d’identifier des regroupements d’objets constitués par des enfants. Souvent, ces assemblages hétéroclites se trouvent dans des lieux inconnus des adultes : ce sont de vrais petits trésors d’enfants. Deux emplacements ayant vraisemblablement servi de « cachette » pour ce type d’assemblage sont présentés dans la collection archéologique de référence du Québec. L’un est situé dans une grange abandonnée de la fin du 19e siècle à Montréal. L’autre est situé dans le vide sanitaire d’une habitation à Québec.
En somme, cette collection d’objets permet de rendre enfin visible l’enfance dans les collections archéologiques.
ARTÉFACTS DE CETTE FAMILLEPhoto : Julie toupin 2019, ©Pointe-à-Callière, cité d’archéologie et d’histoire de Montréal.