Le fort d’en haut de Cartier et Roberval (1541-1543) : une fenêtre ouverte sur la Renaissance en Amérique

Hélène Côté

Lors de travaux préalables à la construction d’un observatoire devant le cap Rouge, un archéologue met au jour un tesson de céramique étrange qui ne lui est pas familier. À sa grande surprise, ses recherches lui révèlent qu’il s’agit d’un fragment de majolique italienne. Or, ce type céramique était en vogue au milieu du 16^e siècle, soit l’époque des voyages de Jacques Cartier. Ainsi, la colonie fondée par Cartier et dirigée par Jean-François de La Rocque de Roberval était enfin découverte!

La colonie de Charlesbourg-Royal, renommée France-Roy par Roberval, a été fondée en 1541 lors du troisième voyage de Jacques Cartier. Cartier est alors le second de Jean-François de La Rocque de Roberval, un militaire de renom, chevalier et écuyer, dont la famille appartient à la noblesse française. Outre les récits du voyage écrits par Cartier et Roberval, nombreux sont les documents d’archives qui détaillent l’équipage qui allait coloniser les hauteurs du cap Rouge et explorer les richesses du territoire.

Plus qu’un simple comptoir, Charlesbourg-Royal représente une réelle tentative d’implantation coloniale en terre nord-américaine. En plus de viser l’exploitation des ressources naturelles locales, elle constitue une réponse aux efforts déployés par l’Espagne et le Portugal pour accaparer les richesses du Nouveau Monde. Les moyens mis à la disposition de Cartier et de Roberval sont conséquents : on compte un total de huit navires dans lesquels sont logés quelque cinq-cents colons qui proviennent de toutes les strates de la société. En effet, on y retrouve autant des membres de la noblesse que des repris de justice, des artisans et des militaires, des hommes, des femmes et des enfants. La cargaison qui remplit les cales est variée : des animaux d’élevage, des semences, des denrées alimentaires, des armes. Bref, tout ce qu’il faut pour assurer le succès d’une colonie naissante.

Le départ vers l’Amérique se fait en deux temps. D’abord, Cartier part avec ses cinq navires et trois-cents colons. Il arrive à Cap-Rouge en août 1541 et son équipe construit deux forts, au pied et au sommet du promontoire, en plus de préparer le sol pour les semailles. Or, les relations avec les Stadaconiens se détériorent et Roberval se fait attendre. Cartier abandonne la colonie et repart vers la métropole au mois de juin 1542, presque un an après son arrivée.

Roberval lève enfin les voiles en avril 1542 depuis La Rochelle, accompagné de 200 personnes. Il débarque à Cap-Rouge vers la fin de juillet. Cartier ayant abandonné l’établissement en ne laissant rien derrière lui, les mois suivant l’arrivée des colonisateurs sont très difficiles. Roberval doit rationner les aliments et exercer une discipline sans merci afin d’éviter des débordements. Heureusement, les relations avec les Autochtones s’améliorent et Roberval semble avoir bénéficié de leur aide pour pourvoir à l’alimentation des habitants du fort. Néanmoins, l’hiver est particulièrement difficile : la faim et le scorbut frappent, tandis que des troubles sociaux font surface. Finalement, après avoir remonté le Saint-Laurent jusqu’aux rapides de Lachine, Roberval et sa compagnie plient bagage vers la fin de juillet 1543, mettant fin à une tentative coloniale qui aura peut-être inspiré Champlain.

Découvert en 2005 et fouillé entre 2005 et 2010 dans le cadre d’un projet de recherche patronné par la Commission de la capitale nationale du Québec, le site archéologique Cartier-Roberval (CeEu-4) a livré plus de 30 000 artefacts et écofacts datant principalement de la période d’occupation du fort d’en haut. La plupart des vestiges proviennent de la couche de sol associée à l’occupation et à l’incendie de l’établissement. La sélection présentée dans la collection archéologique de référence du Québec illustre diverses facettes de la vie quotidienne des occupants de ce site, témoin de la Renaissance en Amérique du Nord.

Certains objets ne laissent aucun doute quant au motif principal de la tentative de colonisation pilotée par Roberval et Cartier : la recherche de métaux précieux et de diamants. Cette activité est représentée par des creusets utilisés pour les essais métallurgiques, un culot en plomb, un fragment de minerai destiné à être testé et un fragment de quartz, confondu avec du diamant. Des artéfacts étaient utilisés pour procéder aux différents calculs nécessaires à l’évaluation de la richesse des matières testées, tels le jeton de Nuremberg et le poids monétaire.

L’assemblage témoigne aussi de la présence de militaires au sein de la colonie. En effet s’y trouvent des pointes de carreau d’arbalète, sans doute associées aux arbalétriers chargés de la protection du fort, et les fragments d’une cotte de mailles. De plus, la collection ne laisse aucun doute quant à l’existence d’une classe aisée, propriétaire d’objets indicateurs d’une position sociale privilégiée. La majolique italienne en est un exemple. Fabriquées seulement sur commande au plus fort de leur popularité, les pièces de faïence italienne trônent au centre de la table des mieux nantis de l’époque. La coupelle en grès du Beauvaisis, le réchaud en terre cuite grossière de la Saintonge et les objets en verre, comme la coupe à pied bas, la carafe et le vitrail, sont des témoins de première main de la présence d’individus appartenant à la classe nobiliaire, comme le mentionnent les documents d’époque.

Les activités du quotidien des colons ont aussi laissé des traces. On jouait aux billes et au trictrac, on allumait le feu pour faire la cuisine, on mangeait… Les pièces de jeu (le pion en bois et la bille), les fragments de marmite, le batte-feu avec sa pierre et la fourchette pliante représentent bien ces gestes à la base de la survie de tous.

Les objets proviennent pour la majorité de la côte atlantique. C’est le cas de plusieurs contenants en céramique fabriqués en Normandie, en Bretagne et en Saintonge. Par contre, quelques artefacts dont la fonction est plus spécialisée ou dont l’indice socioéconomique est élevé font exception à ce modèle, tels le pot à pharmacie en faïence de Lyon ou le plat en faïence italienne.

Enfin, des témoins matériels attestent plus particulièrement des relations entre les colons du fort d’en haut et les Iroquoiens du Saint-Laurent. Des lots de bagues et de petites clés en laiton à modèles uniques pourraient avoir été apportés pour être utilisés comme monnaie d’échange. D’autres objets corroborent quant à eux le récit de Roberval à propos de l’aide alimentaire apportée par les Iroquoiens, tels des fragments de poterie autochtone découverts dans la couche d’occupation et d’incendie de l’établissement.

En somme, la collection archéologique du site Cartier-Roberval est unique. Provenant du site européen le plus ancien au nord de Mexico, elle représente un microcosme de la Renaissance dans cette partie de l’Amérique avec ses différents groupes sociaux, ses activités économiques et le quotidien de ses colons.