La fabrication de la bière : les témoins archéologiques d’une industrie brassicole au Québec
Par Isabelle Hade
La bière est la boisson alcoolisée la plus consommée au Canada et au Québec. Elle se décline en plusieurs variétés (ale, porter, stout, lager, etc.). Le procédé de fabrication de la bière est connu depuis des millénaires et consiste principalement en trois étapes : le maltage, le brassage et la fermentation. La première étape, le maltage, consiste à faire germer les graines de seigle, de sarrasin, d’avoine, de blé ou d’orge – le plus souvent utilisé – afin de produire le sucre nécessaire au processus de fermentation. Le grain prend alors le nom de malt. S’ensuit le brassage, étape consistant à mélanger le malt à de l’eau chaude. Il en découle le moût qui sert à produire la bière et le résidu de céréale, la drêche, souvent utilisée comme nourriture pour le bétail. Une fois le moût filtré, on procède à la dernière étape qui consiste à bouillir le produit pour le rendre stérile, puis à y ajouter le houblon. Le tout est rapidement refroidi et le brasseur ajoute la levure permettant la fermentation essentielle à la production de l’alcool. À la suite de la clarification de la bière, celle-ci est mise en tonneaux ou dans des bouteilles.
Dès le début de la colonie, l’établissement commercial et industriel des brasseries et des distilleries s’affirme dans le but de produire localement de la bière, cette boisson alcoolisée très populaire. Les premières installations sont plutôt artisanales et sont l’œuvre des Récollets, puis des Jésuites, qui établissent des brasseries dès le premier tiers du XVIIe siècle. La seule brasserie industrielle en Nouvelle-France sera l’œuvre de l’intendant Jean Talon et sera construite à Québec dès 1670. Une brasserie est également construite en 1650 près du fort de Ville-Marie à Montréal, puis à Longueuil en 1690. Quelques autres brasseurs sont également répertoriés dans la région de Montréal et de Trois-Rivières aux XVIIe et XVIIIe siècles.
Toutefois, ce n’est que durant la deuxième moitié du XVIIIe siècle, à la suite de la Conquête de 1759, que les activités brassicoles connaissent de véritables succès, grâce à l’implication et à l’expertise d’entrepreneurs anglais et écossais qui viennent s’installer à Québec et à Montréal. Ainsi, des brasseries de tailles diverses s’implantent au Québec, principalement dans la Basse-Ville de Québec et dans la région de Montréal. Comme la bière contient 95 % d’eau, les brasseries s’installent près de leur source première, soit le fleuve, la rivière Saint-Charles et la rivière Beauport. À la fin du XVIIIe siècle et au cours de la première moitié du XIXe siècle, les premiers établissements industriels voient le jour et feront la fortune de grands entrepreneurs tels que Racey, McCallum, Boswell, Dow et Molson. C’est à la compagnie de ce dernier que l’on doit, entre autres, l’introduction des premières bouteilles de verre en 1844.
Après 1850, de nouvelles technologies issues de la Révolution industrielle contribuent à l’expansion de l’industrie brassicole et à la naissance de nouveaux établissements. C’est à cette époque que se développent des services d’aqueducs et d’égouts, la mise en place de chemins de fer favorisant l’approvisionnement et la distribution. C’est également à partir du milieu du XIXe siècle que les brevets d’invention se multiplient permettant ainsi une évolution des bouteilles et de leur système de fermeture. La bière devient un produit de consommation de masse fabriqué et emballé en usine. Tout un réseau de distribution est également déployé à cette époque.
Au début du XXe siècle, les petites brasseries québécoises rencontrent des difficultés en raison de la hausse des prix des ingrédients entrant dans la composition de la bière attribuable à la Première Guerre mondiale et d’une féroce concurrence. Plusieurs de ces établissements brassicoles seront fermés, rachetés ou fusionneront avec la formation, en 1909, de la National Breweries Ltd., qui deviendra la brasserie O’keefe Ltd en 1968. C’est l’époque des grands monopoles dans l’industrie de la bière, qui occupent une grande part du marché par l’utilisation massive de la publicité et des médias de masse. Ce n’est que vers la fin des années 1970 qu’on observera un certain engouement pour les bières artisanales produites par des microbrasseries.
La bière et sa fabrication sont des marqueurs culturels importants dans l’histoire du Québec. Cette boisson populaire fait partie de l’identité québécoise. La collection archéologique de référence du Québec renferme divers exemplaires de bouteilles et d’éléments technologiques permettant la fabrication de la bière. Ces artéfacts témoignent de l’évolution du patrimoine industriel brassicole au Québec sur près de quatre siècles.
ARTÉFACTS DE CETTE FAMILLECollection Bernard Hayes, archives de la Ville de Québec, cote P058-N019527.
Collection Michel Bédard, archives de la Ville de Québec, cote P110-200-5-1-N083390.
Collection Bernard Hayes, archives de la Ville de Québec, cote P058-N031732.
Musée McCord, numéro d’accession M930.51.1.206.