L’Archaïque (9500 à 3000 ans avant aujourd’hui)  :
peuplements régionaux et enracinement des communautés autochtones au Québec

Jean-Christophe Ouellet

La période de l’Archaïque constitue le plus long chapitre de l’occupation autochtone du nord-est de l’Amérique du Nord. L’appellation Archaïque fait ainsi d’abord référence à une période chronologique qui s’étale sur plus de six millénaires. Cette longue période est généralement divisée en quatre sous-périodes : l’Archaïque ancien (9500 à 7000 ans avant aujourd’hui [AA]), l’Archaïque moyen (7000 à 5500 ans AA), l’Archaïque récent (5500 à 3000 ans AA) et l’Archaïque post-laurentien (4200 à 3000 ans AA), qui s’étend jusqu’au début de la période Sylvicole dans le sud du Québec.

Au Québec, les sous-périodes anciennes et moyennes de l’Archaïque sont peu représentées dans le registre archéologique. Avec la poursuite des recherches, le nombre de sites qui leur sont associés est cependant en augmentation et il est maintenant établi que plusieurs régions ont été fréquentées depuis ces périodes reculées. C’est néanmoins à l’Archaïque supérieur et terminal que l’occupation du territoire s’étend à presque l’ensemble de la province et que le nombre de sites archéologiques devient plus abondant. Vers 4000 ans avant aujourd’hui, toute la province était probablement fréquentée avec plus ou moins d’intensité.

L’Archaïque, est aussi un ensemble de traditions archéologiques, chacune représentée par un assemblage d’artéfacts diagnostiques. Les traditions de l’Archaïque ont d’abord été définies, sur la base de traits communs, pour refléter différentes adaptations aux grandes régions du Nord-Est américain. C’est ainsi qu’ont été définis l’Archaïque laurentien, l’Archaïque maritime et l’Archaïque du Bouclier.

L’Archaïque laurentien prend ses racines dans les états américains du Nord-Est et est principalement représenté dans le Québec méridional, l’Outaouais et le long de la vallée du Saint-Laurent jusqu’en Haute-Côte-Nord. La tradition de l’Archaïque laurentien correspond pour l’essentiel à la période de l’Archaïque récent (5500 à 4000 ans AA). Ces « Laurentiens » fréquentent ainsi des milieux caractérisés par des forêts décidues telles que la forêt laurentienne et y ont exploité des ressources diverses. Ces groupes ont une culture matérielle distinctive qui comprend des pointes de projectiles en pierre taillée, mais les outils polis y sont abondants et une certaine préférence pour l’ardoise rouge semble exprimée dans le registre archéologique. Les sites de cette tradition sont aussi associés à un vaste réseau d’échanges dans lequel le cuivre natif, en provenance des Grands Lacs, circule comme jamais auparavant.

L’Archaïque de tradition maritime est quant à lui concentré sur les régions côtières de la Côte-Nord, du Labrador, de l’île de Terre-Neuve et de la façade atlantique. Ces groupes ont une adaptation axée principalement sur les ressources marines dont les phoques. Au Labrador, ces groupes en viennent à occuper des villages semi-permanents et, à l’occasion, des maisons longues qui regroupent plusieurs familles. De vastes cimetières aux sépultures garnies d’offrandes sont aussi associés à cette tradition. Au Québec, la tradition de l’Archaïque maritime occupe l’intervalle entre 9000 et 3500 ans avant aujourd’hui. Ces sites sont régulièrement installés sur d’anciennes terrasses marines haut perchées et leur culture matérielle comprend notamment de grandes pointes aux pédoncules contractants ainsi qu’une variété d’outils polis.

Le concept de l’Archaïque du Bouclier s’est lui aussi développé ailleurs dans le grand Nord-Est, puis s’est étendu à la province du Québec notamment dans sa portion associée à la forêt boréale. Cette tradition archéologique, qui couvre l’ensemble du Bouclier canadien, a pris naissance dans les années 1960, mais elle est aujourd’hui considérée comme trop englobante. Au Québec, elle regroupe les diverses occupations anciennes de l’intérieur, de plus de 3000 ans avant aujourd’hui, qui semblent évoluer avec une influence des régions au sud beaucoup moins marquée. L’Archaïque du Bouclier est notamment caractérisé par une série de pointes lancéolées aux encoches latérales aux bases de formes diverses et par quelques outils polis de gros gabarit comme les haches et les gouges.

Plusieurs des traits diagnostiques de ces traditions archéologiques sont originaires de régions voisines du Québec, notamment du sud. Leur présence ici témoigne de la participation des groupes autochtones à de vastes réseaux d’interactions à travers lesquels circulent des objets, des matières premières, des influences et sans doute aussi des individus. C’est ainsi que certains traits et objets caractéristiques en viennent à être disséminés dans toute la province.

Ces traditions de la période Archaïque constituent un outil de classification très utile pour organiser la variabilité du registre archéologique du Nord-Est américain. La famille d’artéfacts de la période Archaïque présente les principaux marqueurs diagnostiques de la culture matérielle récoltés sur les sites québécois. Cette culture matérielle compte notamment un ensemble d’outils taillés, d’outils bouchardés et polis, des objets en cuivre natif de même que des outils en os.

Aujourd’hui cependant, ces traditions pourraient être revues pour faire place à plus de spécificités régionales. La poursuite des recherches et l’augmentation croissante de nos connaissances sur l’occupation humaine ancienne permettront éventuellement d’aboutir à de nouvelles histoires culturelles régionales qui laisseront entrevoir avec plus de nuances les processus de peuplement et d’enracinement des communautés autochtones au Québec.