Période inuite au Nunavik
INTERROGEZ > Période inuite au Nunavik

La période inuite au Nunavik

Par Claude Pinard

Traditionnellement, les archéologues qui étudiaient l’Arctique de l’Est utilisaient les termes « Paléoesquimau », pour désigner les traditions les plus anciennes, et « Néoesquimau » pour les périodes plus récentes. Toutefois, en accord avec la résolution 2010-01 du Conseil circumpolaire inuit, il est à présent préférable de préconiser une nouvelle dénomination pour les cultures de l’Arctique (voir Friesen 2015). Ainsi, l’histoire du peuplement de l’Arctique sera répartie entre les périodes paléo-inuite et inuite. La période inuite débute avec la tradition thuléenne (800 à 250 ans avant aujourd’hui).

Les chercheurs danois sont les premiers à avoir étudié et défini la culture thuléenne à l’occasion d’une importante expédition scientifique menée dans les années 1920. Cette expédition, « The Fifth Thule Expedition », a parcouru le territoire arctique durant plusieurs années, du Groenland à l’Alaska. Le nom « Thule » provient de la région qui porte le même nom dans le nord du Groenland, où les recherches ont débuté.

Originaires de l’Alaska, les Thuléens sont issus d’une nouvelle vague de migration qui, à partir de 1 000 ans avant aujourd’hui, traverse l’Arctique de l’Est pour atteindre le Nunavik (Nord du Québec, zone arctique du territoire québécois actuel) vers 750 ans avant aujourd’hui. Durant cette période, un réchauffement climatique aurait grandement modifié le couvert de glace sur la mer, ce qui aurait favorisé le développement de nouvelles techniques de capture en haute mer.

Grands chasseurs de baleines, les Thuléens se déplacent à bord de grandes embarcations pouvant mesurer jusqu’à neuf mètres de longueur sur deux mètres de largeur nommées umiaks. Recouvertes de peaux de phoque ou de morse, ces embarcations légères peuvent transporter jusqu’à une vingtaine de personnes ainsi qu’une grande quantité de matériel.

Sur le plan technologique, les Thuléens délaissent la pierre taillée au profit de la pierre polie. On observe aussi une augmentation du travail de l’os et de l’ivoire. Ils utilisent des pierres tendres, comme le schiste, pour la fabrication de couteaux semi-circulaires (ulus) ou encore de lames pointues. Les Thuléens utilisent l’arc et la flèche pour la chasse terrestre alors que le harpon et la lance sont surtout utilisés pour la capture des mammifères marins, dont les baleines. Les Thuléens emploient toujours la stéatite pour la fabrication de récipients et de lampes à huile de formes diverses. Parmi les innovations technologiques des populations thuléennes, mentionnons notamment le foret à archet (permettant un mouvement rotatif continu), les traineaux à chiens, les umiaks et les kayaks pour les déplacements sur l’eau et la chasse aux mammifères marins, le propulseur pour la projection du harpon et de la lance et les lunettes pour se protéger de l’intense réflexion du soleil sur la neige.

Les Thuléens se servent de tentes pour se loger durant la saison estivale. En plus d’utiliser les iglous durant leurs déplacements hivernaux sur la banquise, ils développent un nouveau type d’habitation semi-souterraine. L’un des éléments ingénieux des maisons semi-souterraines thuléennes est la présence d’un tunnel d’entrée, avec une légère dépression dans le couloir, empêchant ainsi le froid de pénétrer à l’intérieur. Ces habitations comprennent une ou deux aires de combustion et une plateforme de couchage surmontant des compartiments de remisage. Les charpentes de ces maisons, souvent érigées avec des os de baleines ou du bois flottant, sont recouvertes de peaux ou de tourbe.

Les Inuits contemporains sont les descendants directs des Thuléens et, malgré des contacts épisodiques avec des Norrois (des explorateurs et des pêcheurs scandinaves de la deuxième moitié du 16e siècle), leur mode de vie à la période historique était semblable à celui de leurs ancêtres thuléens. La présence européenne demeure sporadique dans le détroit d’Hudson et dans la baie d’Hudson au cours des 16e et 17e siècles. Les premiers contacts plus réguliers qu’ont eus les Inuits du Nunavik avec les Européens débutent durant la première moitié du 19e siècle lors de l’établissement d’une mission morave à l’embouchure de la rivière Koksoak en 1811, à l’emplacement actuel du village de Kuujjuaq. Des postes permanents apparaissent ensuite au cours du 19e siècle et au début du 20e siècle. Dans la baie d’Ungava, les premières incursions européennes n’eurent lieu qu’au début du 19e siècle et ce n’est qu’à partir du début du 20e siècle que des postes y sont ouverts de façon plus permanente.

L’implantation des premiers postes de traite par la Compagnie de la Baie d’Hudson (CBH) et Révillon Frères marqua une période plus soutenue de contacts et d’échanges avec les populations inuites du Nunavik. En 1750, un premier poste de traite de la Compagnie de la Baie d’Hudson est d’abord implanté dans la région du lac Guillaume-Delisle. Le poste Richmond Fort a été abandonné en 1758, supplanté le temps d’une saison par un avant-poste établi à Petite rivière de la Baleine. En 1759, la Compagnie de la Baie d’Hudson évacue complètement la région de la baie d’Hudson, en raison d’une pénurie de chasseurs locaux et d’animaux à fourrure. La CBH s’installe durant trois ans à Kuujjuarapik en 1813, puis s’y installe de nouveau en 1856.

Ensuite, un poste de traite est établi à Kuujjuaq (anciennement Fort Chimo) en 1830, suivi de postes saisonniers à Tasiujaq en 1833 et à Kangiqsualujjuaq (anciennement Rivière George) en 1838. Tous ces postes fermeront vers 1842 en l’absence d’une clientèle régulière. Ce n’est qu’en 1866 que les activités reprennent au poste de Fort Chimo qui demeure le seul poste de traite actif de la baie d’Ungava. Le début du 20e siècle est marqué par la prolifération de postes de traite au Nunavik avec la création de nouvelles compagnies, dont Revillon Frères. En 1926, la CBH a acquis 51 % des actions de cette compagnie française, pour finalement en faire l’entière acquisition en 1936. L’établissement de ces postes impose aux Inuits de devenir de plus en plus sédentaires, leur offrant ainsi un accès direct à des biens de consommation en échange de fourrures.

Même si nous connaissons peu de sites inuits de la période historique, les vestiges qui y sont associés sont semblables à ceux de la période thuléenne. Alors que les outils en os, en andouiller et en pierre sont toujours utilisés, le fer tend à remplacer graduellement certaines matières traditionnelles pour la fabrication d’outils quotidiens (pointe de lance, couteau semi-circulaire, etc.). Les armes à feu remplacent éventuellement les armes traditionnelles de chasse. Les habitations restent sensiblement les mêmes (tentes, iglous et maisons semi-souterraines) jusqu’à ce que le canevas ou la toile remplace les peaux dans la confection des tentes. Les dernières maisons semi-souterraines auraient été construites vers la fin du 19e siècle.

Parmi la sélection d’artéfacts présentés dans la collection archéologique de référence du Québec, près de la moitié des objets retenus ont été trouvés à la surface de sites d’occupation par des habitants du Nunavik, puis confiés à l’Institut culturel Avataq (institution consacrée à la sauvegarde et à l’épanouissement de la culture et de la langue inuites au Nunavik) pour en assurer la conservation. La présence de ces objets compense pour la rareté des artéfacts provenant d’interventions archéologiques sur des sites thuléens et inuits historiques. En effet, les habitations de surface de cette période ne livrent pas beaucoup d’artéfacts, et très peu d’habitations semi-souterraines, généralement riches en artéfacts, ont été fouillées à ce jour. De plus, ce phénomène témoigne de l’implication des communautés inuites dans la préservation de leur patrimoine archéologique.

En savoir plus

  • Friesen, T. Max, 2015: «On the Naming of Arctic Archaeological Traditions: The Case for Paleo-Inuit». Arctic, No 68(3): iii–iv.
ARTÉFACTS DE CETTE FAMILLE
À l'intérieur d'un igloo, une femme ravive le qulliq, elle porte son enfant dans son amautik (Salluit, vers 1950)
À l'intérieur d'un igloo, une femme ravive le qulliq, elle porte son enfant dans son amautik (Salluit, vers 1950)
Photo : Father Jules Dion, O.M.I./Institut culturel Avataq/Ref. IND-DIO-237.
Nippatuq (mot inuktitut qui signifie : « Quelqu’un qui attend à un trou de respiration »), chasse aux phoques sur la glace (Kuujjuaraapik, 1860s)
Nippatuq (mot inuktitut qui signifie : « Quelqu’un qui attend à un trou de respiration »), chasse aux phoques sur la glace (Kuujjuaraapik, 1860s).
Photo : William Stuart ou Joseph Gladman?/Institut culturel Avataq, collection Catherine Oberholtzer /Ref. IND-OBE C-002.
Inuksuit près d’Ivujivik, Nunavik
Inuksuit près d’Ivujivik, Nunavik
Photo : Marie-Michelle Dionne, 2009.