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Question d’archéométrie : Introduction à la datation radiométrique et méthodes basées sur la désintégration radioactive

Par Adelphine Bonneau

Situer chronologiquement les découvertes archéologiques est une étape primordiale de l’interprétation d’un site archéologique. Pour y parvenir, l’archéologue dispose d’un grand nombre de méthodes dont les datations radiométriques, basées sur la radioactivité.

Mises en place dans les décennies qui ont suivi la Deuxième Guerre mondiale, elles ont permis un développement sans précédent des recherches archéologiques. Elles sont toutes issues de travaux en géochronologie, à l’exception de la thermoluminescence et de la luminescence stimulée optiquement. Pour apporter leur pleine contribution, ces méthodes de datation doivent être employées, et leurs résultats interprétés, de façon scientifiquement fiable. Autrement dit, ces techniques possèdent un grand nombre de paramètres qu’il faut connaitre et maitriser, et les données en résultant doivent être traitées en conséquence.

Deux des paramètres les plus cruciaux et qui engendrent le plus de conclusions erronées sont la prise d’échantillons et la compréhension du type d’évènement daté. Ce dernier point est important puisque les méthodes de datation radiométriques apportent un âge calendaire (c’est-à-dire qui est rapporté dans notre calendrier actuel) pour des évènements particuliers : mort d’un organisme, dépôt d’une couche de sédiment, création d’une couche minéralisée, etc. Ceux-ci sont parfois en décalage avec ce que veulent dater les archéologues : utilisation d’un artéfact, construction d’une structure, etc. Il serait alors nécessaire de considérer ces âges comme des termini ante et/ou post quem au lieu d’âges effectifs. Malheureusement, cette réflexion n’est que peu présente lors de l’interprétation.

Voici un résumé des évènements datés selon les méthodes de datation employées et les artéfacts ou écofacts sélectionnés :

Méthode de datation
Type d’artéfacts ou d’écofacts
Évènement daté
Plage chronologique
Méthode de datation
Radiocarbone
Type d’artéfacts ou d’écofacts
  • Charbons de bois
  • Os et dents
  • Coquillages
  • Graines
  • Textiles
  • Résidus organiques
Évènement daté
Mort de l’organisme Os calcinés : calcination
Plage chronologique
- 50 000 à 1950
Méthode de datation
Thermolu-
minescence et luminescence stimulée optiquement
Type d’artéfacts ou d’écofacts
  • Roches
  • Céramiques
  • Sédiments
Évènement daté
Dernière chauffe ou dernière exposition à la lumière
Plage chronologique
- 500 000 à aujourd’hui
Méthode de datation
Séries de l’uranium
Type d’artéfacts ou d’écofacts
  • Couches de calcite
Évènement daté
Formation de la couche de calcite
Plage chronologique
- 500 000 à 1700
Méthode de datation
Potassium-argon
Type d’artéfacts ou d’écofacts
  • Cendres volcaniques
  • Obsidiennes
Évènement daté
Dernière éruption volcanique
Plage chronologique
Toute l’histoire de la Terre
Méthode de datation
Isotopes cosmogéniques
Type d’artéfacts ou d’écofacts
  • Roches
Évènement daté
Exposition à l’air libre
Plage chronologique
Dépend des isotopes considérés

Il existe deux grands types de datation radiométriques :

  • Celles reposant sur la croissance ou la désintégration radioactive d’isotopes d’un élément chimique.
  • Celles reposant sur les dommages induits dans les minéraux par la radioactivité naturelle, appelées paléodosimétriques.

Les méthodes basées la désintégration radioactive

La matière qui constitue notre environnement est composée d’atomes. Ceux-ci sont composés d’un noyau et d’électrons. Le noyau contient des protons et des neutrons. Les atomes sont organisés en fonction du nombre de protons dans leur noyau au sein du « tableau périodique des éléments chimiques » créé par Dmitri Mendeleïev dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Chaque case correspond à un élément chimique, c’est-à-dire à une famille d’atomes possédant tous le même nombre de protons dans leur noyau. Par exemple, tous les atomes de carbone possèdent 6 protons dans leur noyau, ceux d’uranium en possèdent 92.

Chaque élément chimique possède plusieurs isotopes, c’est-à-dire des atomes ayant le même nombre de protons, mais un nombre de neutrons différent. Par exemple, le carbone possède trois isotopes principaux : le carbone 12 (6 protons et 6 neutrons), le carbone 13 (6 protons et 7 neutrons) et le carbone 14 (6 protons et 8 neutrons).

Certains isotopes sont stables, d’autres sont instables, c’est-à-dire que leur structure n’est pas adéquate et qu’ils vont essayer de se transformer pour atteindre une forme stable, en modifiant leur noyau. Ce phénomène entraine l’émission d’un rayonnement. C’est la radioactivité. Ce phénomène est spontané, aléatoire, régulier et probabiliste.

Lorsqu’un isotope instable d’un élément chimique émet un rayonnement pour devenir un autre élément chimique, on dit qu’il se désintègre. C’est la désintégration radioactive. L’élément chimique initial est appelé élément père, l’élément chimique résultant de la désintégration radioactive est l’élément fils. La désintégration radioactive suit une équation mathématique connue : N(t) = N0.e-λt où N est le nombre d’atomes de l’élément père, t le temps en années, et λ la constante radioactive.

La constante radioactive d’un isotope d’un élément chimique est liée à sa période radioactive, également appelée demi-vie et notée t1/2. La demi-vie est la période au bout de laquelle la moitié des noyaux radioactifs présents dans un matériau se sont désintégrés. 

La radioactivité étant un phénomène spontané et régulier, il est possible d’utiliser la désintégration de l’élément père comme chronomètre. Cela nécessite de connaitre le nombre d’atomes initial de l’élément père, le nombre d’atomes de l’élément père au moment de la mesure et la demi-vie de l’élément père. La première variable est le plus souvent inconnue, mais peut être déduite à partir du nombre d’atomes de l’élément fils ou encore du ratio avec les autres isotopes stables de l’élément chimique auquel appartient l’élément père.

Toutes les méthodes de datation basées sur la désintégration radioactive fonctionnent selon le même principe et la même équation mathématique. La quantité initiale d’atomes de l’élément père va être divisée par deux à chaque période radioactive (ou demi-vie). Ainsi après une période radioactive, il ne restera que la moitié des atomes de l’élément père. Après deux périodes, il n’en restera qu’un quart. Après trois périodes, ce ne sera qu’un huitième, etc. Ainsi, la quantité d’atomes de l’élément père va être de plus en plus petite au fur et à mesure du temps. Elle est considérée comme inexistante après neuf à dix périodes radioactives. La limite d’applicabilité de ces méthodes va donc dépendre de la période radioactive de l’élément père. Dans le cas du potassium 40 (40K), elle est de 1.26 Ga. La méthode du potassium-argon peut donc être utilisée pour l’ensemble de l’histoire de la Terre. Au contraire, la demi-vie du 14C est de 5730 ans. Après dix périodes, c’est-à-dire 57 300 ans, il n’y a plus assez d’atomes de 14C pour qu’une mesure fiable puisse être faite. Ainsi, des morceaux de bois plus vieux que 50 000 ans ne seront pas datables avec cette méthode.

La datation par le radiocarbone emploie la désintégration radioactive du carbone 14 (14C), c’est-à-dire l’isotope du carbone qui contient 6 protons et 8 neutrons dans son noyau. Il est instable. Il va perdre une partie de son noyau en émettant des rayonnements bêta et de l’énergie (radioactivité) afin de retrouver une stabilité physique. Il se transforme alors en azote 14 (14N).

Formés dans les hautes couches de notre atmosphère, les atomes de 14C se combinent à l’oxygène pour devenir du dioxyde de carbone. Celui-ci est absorbé par les êtres vivants (végétaux, animaux, humains, etc.) via la respiration, la photosynthèse et la nourriture. Tant qu’ils sont en vie, leur taux de 14C reste constant puisqu’ils échangent en continu avec l’atmosphère. Lors de la mort d’un individu, cet échange est rompu et les atomes de 14C se désintègrent selon l’équation présentée précédemment.

En mesurant le nombre d’atomes de 14C dans un individu et en le comparant au nombre initial d’atomes de 14C, il est possible de déterminer le moment de sa mort. La datation par le radiocarbone date donc la mort d’un individu. Les os calcinés sont une exception : l’évènement daté est la calcination de l’os. Cela peut avoir une importance dans le cadre de restes humains inhumés puis déterrés pour être incinérés.

Cette méthode nécessite néanmoins une correction. En effet, elle tient pour acquis que le taux de 14C fut constant dans l’atmosphère en tout temps, ce qui n’est pas le cas. La production de 14C dans les hautes couches de l’atmosphère a varié en fonction du champ magnétique terrestre, de l’activité solaire et plus récemment des essais nucléaires. Ces derniers ont créé une telle quantité de 14C qu’il a été décidé de rapporter les dates radiocarbone en années B.P. (Before Present), parfois notée AA (avant aujourd’hui), c’est-à-dire avant 1950 et les premiers essais nucléaires.

Il faut corriger la date obtenue lors de la mesure. C’est la calibration. Une courbe a été construite à partir de cernes d’arbres et de dépôts fluviatiles et lacustres pour connaitre l’âge « réel » d’un échantillon. Il en existe une pour l’hémisphère nord, IntCal, et une pour l’hémisphère sud, ShCal. Cette correction est faite automatiquement par des logiciels. Une fois calibrée, la date radiocarbone est notée cal. B.P., ce qui signifie qu’elle est exprimée dans le calendrier actuel par rapport à 1950.

La datation par les séries de l’uranium se base sur le déséquilibre radioactif des éléments fils de l’uranium 238 et 235. L’uranium est soluble dans l’eau alors que le thorium ne l’est pas. Ainsi lors de la formation d’une couche de carbonates de calcium (dans une grotte, à la surface d’un abri-sous-roche ou encore sur une dent), cette dernière ne possède que de l’uranium. Une fois la couche cristallisée, les atomes d’uranium vont se désintégrer selon la loi mathématique détaillée précédemment. Il existe deux séries de désintégration : celle de l’uranium 238 (demi-vie de 4.46 Ga) et celle de l’uranium 235 (demi-vie de 0.7 Ga), chacune pouvant être utilisée indépendamment pour réaliser une datation. Dans ce texte, nous nous concentrerons sur la série de l’uranium 238 qui est la plus couramment employée en archéologie.

La période de demi-vie de l’élément père étant très longue, la méthode se base sur deux éléments fils : l’uranium 234 et le thorium 230 (lui-même étant l’élément fils de l’uranium 234).

Pour réaliser une datation, les scientifiques quantifient les atomes de l’uranium 238, de l’uranium 234 et du thorium 230. L’âge sera calculé en fonction de l’abondance relative de chacun d’entre eux. L’une des principales limites de la méthode réside dans la solubilité de l’uranium. Pour que la datation soit possible, il faut que les atomes d’uranium 238 et 234 quantifiés soient ceux qui ne se sont pas encore désintégrés. Or, si la couche de calcite est en contact régulier avec de l’eau, les atomes d’uranium se dissolvent et ne sont plus présents, créant un déséquilibre. Dans ce cas, il ne sera pas possible d’obtenir un âge. Il est donc nécessaire que la couche de calcite soit un « système clos ». Cet aspect doit être testé pour chaque échantillon à dater.

La méthode de datation par le potassium-argon est basée sur la désintégration radioactive de l’isotope 40 du potassium (40K) qui se désintègre soit en calcium 40 et soit en argon 40. Le calcium 40 étant très commun dans les minéraux, c’est la désintégration en argon 40 (40Ar) qui est employée. C’est un gaz. Le 40K et le 40Ar sont présents dans la croute terrestre et dans un grand nombre de minéraux.

Lors d’une éruption volcanique, le 40Ar s’échappe de la lave ne laissant que le 40K dans les roches refroidies. Par la suite, il va se désintégrer en 40Ar. Encore une fois, le ratio entre la quantité de 40K restant et celle de 40Ar permet de retrouver l’âge de l’éruption volcanique qui a créé la coulée de lave. Néanmoins, si une nouvelle coulée de lave se dépose sur une coulée initiale, celle-ci va la chauffer et le 40Ar sera libéré. Dans ce cas, seulement la dernière coulée de lave peut être datée.

Cette méthode est très souvent couplée à la téphrochronologie, c’est-à-dire l’étude géochimique des cendres volcaniques. Chaque éruption possède une signature chimique spécifique qui permet de la dater par comparaison avec les éruptions connues.

Les méthodes de datation radiométriques sont basées sur la radioactivité. Elles exploitent la désintégration radioactive ou les dommages qu’elle induit. Dans la partie 1, les principes généraux des méthodes reposant sur la désintégration radioactive ont été introduits : décroissance de l’élément père, demi-vie, équation de désintégration. Il est important de retenir que le chronomètre ne commence qu’avec la décroissance radioactive de l’élément père (et parfois, en l’absence de l’élément fils). Une fois débutée, la réaction se produit de façon spontanée et régulière, peu importe les changements dans l’environnement. Néanmoins pour qu’une datation soit possible, il est impératif qu’aucun apport ou retrait d’atomes n’ait lieu dans l’échantillon étudié au cours du temps. Cet aspect doit être vérifié pour chaque artéfact ou écofact.

En savoir plus

Méthodes de datation en archéologie

Evin, J., Les méthodes de datation en laboratoire. Nouv. éd. rev. et augm. ed. Collection Archéologiques. 2005, Paris : Éditions Errance.

Regert, M. and M.F. Guerra, Physico-chimie des matériaux archéologiques et culturels. 2016, Paris : Éditions des archives contemporaines.

Taylor, R.E., et al., Chronometric dating in archaeology. Advances in archaeological and museum science ; 2. 1997, New York : Plenum.

Datation par le radiocarbone

Brock, F., et al., Current pretreatment methods for AMS radiocarbon dating at the Oxford radiocarbon Accelerator Unit (ORAU). Radiocarbon, 2010. 52(1) : p. 103-112.

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Bronk Ramsey, C., T. Higham, and P. Leach, Towards high-precision AMS : progress and limitations. Radiocarbon, 2004. 46(1) : p. 17-24.

Dee, M.W., et al., Radiocarbon Dating at Groningen: New and Updated Chemical Pretreatment Procedures. Radiocarbon, 2020. 62(1) : p. 63-74.

Hogg, A.G., et al., SHCal20 Southern Hemisphere Calibration, 0–55,000 Years cal BP. Radiocarbon, 2020. 62(4) : p. 759-778.

Lanting, J.N., A.T. Aerts-Bijma, and J. Van Der Plicht, Dating of Cremated Bones. Radiocarbon, 2001. 43(2A) : p. 249-254.

Reimer, P.J., et al., The IntCal20 Northern Hemisphere Radiocarbon Age Calibration Curve (0–55 cal kBP). Radiocarbon, 2020. 62(4) : p. 725-757.

Stuiver, M. and H.A. Polach, Discussion; reporting of C-14 data. Radiocarbon, 1977. 19(3) : p. 355-363.

Datation par potassium-argon

Lee, J.K.W., 2015. Ar–Ar and K–Ar Dating, In Encyclopedia of Scientific Dating Methods, Springer Netherlands, p. 58-73.

Morgan, L.E., 2017. 40Ar/39Ar and K–Ar Geochronology, In Encyclopedia of Geoarchaeology, Springer Netherlands, p. 27-32.

Structure d’un atome et notions d’isotopes
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© A. Bonneau
Désintégration et croissance radioactives utilisées comme chronomètre
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© A. Bonneau
Les isotopes du carbone et la désintégration radioactive du 14C
Les isotopes du carbone et la désintégration radioactive du 14C
d’après Bonneau et Armitage 2020
Principe de la datation par les séries de l’uranium sur une peinture rupestre
Principe de la datation par les séries de l’uranium sur une peinture rupestre
d’après Pearce et Bonneau 2018
Désintégration radioactive du potassium 40
Désintégration radioactive du potassium 40
© A. Bonneau
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