Les céramiques du sylvicole inférieur et moyen
Par Michel Plourde
La production de la céramique par les Autochtones du nord-est américain constitue un phénomène remarquable. C’est autour de 3000 ans avant aujourd’hui que les premiers vases sont fabriqués. Les datations au radiocarbone indiquent que cette technologie pourrait avoir précédé de peu ou avoir existé en même temps que le façonnage de contenants en stéatite. La poterie nord-américaine serait une création indépendante, mais peut-être fut-elle inspirée par les productions des peuples vivant en Amérique du Sud, qui remontent à plus de 5000 ans. Contrairement à ces derniers, les Autochtones du nord-est américain fabriquent essentiellement des pots et des pipes, mais jamais d’assiettes, de gobelets, de bouteilles ou de jarres.
Le Sylvicole inférieur (3000 à 2400 ans avant aujourd’hui)
Pendant un peu plus d’un demi-siècle, les vases sont de facture brute et le dégraissant consiste en des minéraux grossièrement broyés, probablement obtenus à partir de pierres granitiques extraites de foyers de combustion. La plupart de ces vases semblent avoir été réalisés en superposant des colombins. Leurs parois, d’une épaisseur qui varie entre 10 et 15 mm, sont relativement droites. Une telle épaisseur a pu ralentir le refroidissement du contenu liquide chauffé à l’aide de pierres chaudes, dans la mesure où ces vases n’étaient pas placés directement au-dessus d’un feu.
Les vases fabriqués ultérieurement, dont les parois sont plus minces, sont mieux adaptés à la cuisson directement au-dessus d’un feu. La base de ces poteries est de forme subconchoïdale et le rebord supérieur est à peine éversé. Hautes et larges de moins de 30 cm en moyenne, ces poteries ont une capacité de quelques litres seulement. Le traitement de leurs parois avec un battoir recouvert de fibres végétales était très répandu et permettait d’extraire l’humidité de la pâte lors de la fabrication. Sur la face externe, ces petites stries facilitaient l’absorption de chaleur lors de la cuisson des aliments. L’agencement particulier des traces de ce type de battoir sur certains vases suggère la naissance des décors estampés. Les variations dans l’orientation des fibres sont maintenant considérées comme de potentiels marqueurs identitaires.
Le nombre de contenants du Sylvicole inférieur découverts sur les sites archéologiques québécois est toujours faible (moins de cinq exemplaires). Cela permet de croire que la poterie jouait un rôle complémentaire aux contenants d’écorce et de bois.
Le Sylvicole moyen ancien (2400 à 1500 ans avant aujourd’hui)
Durant cette période, les vases présentent une forme fuselée, leur col est légèrement étranglé et leur rebord est droit ou un peu évasé. Le dégraissant semble plus fin que celui de la période précédente et le montage se fait encore avec des colombins superposés. La présence de nombreux déchets de fabrication (appelés rebuts de pâte) en forme de colombin sur certains sites archéologiques de cette période révèle pareille technique de modelage. D’ailleurs, ces rebuts constituent des marqueurs saisonniers. En effet, pour des raisons pratiques (extraction de l’argile, séchage à l’air libre), ces opérations se pratiquaient pendant la saison chaude. L’analyse physicochimique de la céramique et de sources d’argile indique une multiplicité de lieux d’extraction répartis sur un vaste territoire. Ainsi, les céramistes profitaient de leurs déplacements pour se procurer, entre autres, des variétés d’argile spécifiques et exploitaient également des sources locales.
Les parois des vases, mesurant entre 7 et 10 mm, sont plus minces que lors de la période précédente et suggèrent une cuisson directement sur les braises ou au-dessus d’un feu. Les décors couvrent toute la face externe et la section supérieure de la face interne, qui ont préalablement été traitées avec un battoir uni. La cuisson s’avère complète, comme en témoigne la solidité des tessons. La face interne des vases est souvent marquée de scarifications, c’est-à-dire d’étroites stries parallèles qui auraient servi à accélérer l’étape du séchage avant la cuisson initiale. Souvent, des résidus alimentaires ont adhéré à la face interne et prennent la forme d’une croûte carbonisée dont l’analyse chimique peut révéler, avec plus ou moins de précision, la nature des aliments bouillis.
Les décors, qui couvrent toute la face externe, sont composés d’empreintes ondulantes et quadrangulaires appliquées avec un effet repoussé, basculant ou estampé. Le volume des vases demeure sensiblement le même que celui de la période précédente et dépasse rarement dix litres. Ce type de poterie devient très populaire et certains sites en comptent des centaines d’exemplaires. Des variations stylistiques se dessinent entre les régions des basses terres du Saint-Laurent, de l’Outaouais, de l’Abitibi et du Haut-Richelieu, par exemple. Les premiers vases miniatures sont fabriqués au cours de cette période et seraient ceux de jeunes apprentis. Certains ne portent aucun décor, alors que d’autres imitent quelque peu maladroitement ceux des productions des adultes.
Le Sylvicole moyen tardif (1500 à 1000 ans avant aujourd’hui)
Cette période est marquée par un changement radical dans la forme des vases, qui est désormais globulaire. Le col est davantage étranglé et un parement est ajouté dans le haut de la moitié des vases. La décoration est appliquée sur la partie supérieure de la face externe du vase et sur la lèvre. Elle se limite généralement au parement. La face interne des vases n’est que très rarement scarifiée ou décorée. Les empreintes à la cordelette et dentelées, ainsi que de petites ponctuations circulaires formant une bosse sur la face interne et dessinant une ligne horizontale à la hauteur du col, deviennent la norme. La décoration est désormais réalisée par estampage (à la manière d’un sceau) et non plus avec un effet repoussé ou basculant. Le tabagisme, qui devient tranquillement une nouvelle habitude, n’est cependant pas une activité quotidienne ni accessible à tous, comme en témoigne le faible nombre de pipes sur les sites archéologiques québécois datés de cette période.
ARTÉFACTS DE CETTE FAMILLEPhoto : Julie Toupin 2019, Creative Commons 4.0 (by-nc-nd) Pointe-à-Callière, Cité d’archéologie et d’histoire de Montréal.
Photo : Julie Toupin 2019, Creative Commons 4.0 (by-nc-nd) Pointe-à-Callière, Cité d’archéologie et d’histoire de Montréal.
Photo : Julie Toupin 2019, Creative Commons 4.0 (by-nc-nd) Pointe-à-Callière, Cité d’archéologie et d’histoire de Montréal.