Pipes en terre cuite
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Les pipes à fumer en argile :
des témoins révélateurs d’une vieille habitude

Christian Roy

Ce n’est qu’avec le début de la période des grandes explorations à la fin du XVe siècle, lorsque les Européens entrent en contact avec les peuples des Premières Nations chez qui l’habitude de fumer était déjà bien établie, que débute l’histoire de la pipe et du tabac dans l’Ancien monde. Si Espagnols et Portugais n’ont pas manqué de rapporter du tabac des Amériques lors de leurs voyages au cours de la première moitié du siècle suivant, il faut attendre les années 1560 pour que se répande la culture de cette plante en Europe occidentale. Mais, comment la fumer si ce n’était à la manière des Autochtones? Comme le rapporte Jacques Cartier en 1534, ils utilisaient entre autres des pipes faites de morceaux de bois ou de fragments de pierre évidés. L’archéologie révèle quant à elle l’utilisation de pipes faites d’argile cuite.

De concert avec l’habitude de fumer, qui s’installe en Europe pendant le dernier quart du XVIe siècle, apparaissent en Angleterre les premières pipes d’argile blanche. L’industrie pipière naissante se développe rapidement. Dès les années 1610, des artisans anglais fuyant les persécutions religieuses s’établissent en Hollande et y introduisent cette nouvelle activité. Au cours des décennies suivantes, elle ne tarde pas à gagner l’Allemagne, la Belgique, les pays scandinaves et la France. Bien que les navires en partance pour l’Amérique du Nord aient la plupart du temps été chargés de pipes d’origine anglaise ou hollandaise, l’industrie pipière s’installe également de ce côté-ci de l’Atlantique dès le milieu du XVIIIe siècle. Tout d’abord en Caroline du Nord et en Pennsylvanie, puis un siècle plus tard à Montréal et à Québec sous l’égide de fabricants écossais nouvellement débarqués dans la vallée du Saint-Laurent.

Généralement faites d’argile fine, les méthodes de fabrication des pipes de terre n’ont guère évolué entre le début du XVIIe siècle et la disparation de cette industrie à l’aube de la Première Guerre mondiale. Roulées à la main à la longueur et aux dimensions voulues, puis placées dans des moules en deux ou trois parties selon les modèles et leur pays d’origine, les pipes étaient principalement fabriquées à partir de terre blanche. Au cours du XIXe siècle elles deviennent également disponibles en rouge, voire parfois en noir, et pouvaient même à l’occasion être glaçurées ou peintes. Au vaste inventaire de certains fabricants européens s’ajoutent avec le temps de nouveaux produits, tels que des fume-cigares et des fume-cigarettes en argile, des objets peu connus que l’on commence à peine à identifier au sein des assemblages archéologiques.

Sur les sites québécois de la période historique, les pipes à fumer constituent l’un des types d’artefacts les plus fréquemment rencontrés. On les retrouve aussi bien sur des sites à vocation domestique que commerciale, militaire ou industrielle, et ce, dès la fondation de Québec au début du XVIIe siècle. La forme et la taille des fourneaux de pipes ont évolué au fil du temps, tout comme les motifs qui les décorent et les marques de fabrique qui y sont souvent apposées et en confirment l’origine. Ainsi, les pipes d’argile constituent d’excellents marqueurs chronologiques qui permettent aux archéologues de dater les dépôts desquels elles sont issues. Mais là ne s’arrête pas leur capacité d’évocation. En effet, d’objet plutôt sobre et purement fonctionnel à l’origine, les pipes deviennent avec le temps un outil de propagande et d’affirmation à saveur tantôt identitaire, tantôt politique, sociétale ou commerciale, dont la symbolique demeure aussi variée que les nombreux motifs qui les ornent.

La Collection archéologique de référence du Québec présente une sélection de pipes à fumer et quelques fume-cigares parmi les plus représentatifs. Non seulement des produits importés dans la vallée laurentienne en provenance du Royaume-Uni, de Hollande et de France depuis les premières décennies du XVIIe siècle, mais également des produits fabriqués au Québec, là où se concentrait l’industrie pipière canadienne pendant la seconde moitié du XIXe siècle. Parmi ces derniers, nous vous proposons de nombreux rejets de production qui témoignent directement des activités manufacturières des deux plus importantes fabriques de pipes à fumer au pays, celles des familles Henderson et Bannerman, établies à Montréal entre les années 1847 et 1902.

ARTÉFACTS DE CETTE FAMILLE
Illustration - Pipes en terre cuite
A French Canadian and an Inhabitant of Quebec, Fisher and Son, London, 1828. A. C Mercer, 1783-1868.
Bibliothèque et Archives Canada. MIKAN 3025413.