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Questions d’archéométrie : l’analyse des outils et des objets de parure en pierre par la pétrographie et la géochimie

Adrian L. Burke, Université de Montréal

Les artéfacts en pierre sont faits avec quels types de roches ? Un peu de géologie…

Les outils taillés

Depuis plus de deux millions d’années, les humains et leurs ancêtres fabriquent des outils avec des tranchants coupants. Les outils taillés en pierre, les pointes de flèche (pointes de projectile), les couteaux (bifaces), les grattoirs, les forets et les perçoirs sont fabriqués avec des roches qui ont des caractéristiques particulières. Il faut une roche homogène avec un grain fin, composée largement de silice (> 75 %). Avec ces caractéristiques la roche peut se casser de façon prévisible lors de la taille, une cassure dite conchoïdale, c’est-à-dire ayant l’aspect ou la forme d’une coquille.

La géologie fait en sorte que ce type de roche ne se trouve pas partout. En fait, les roches classées comme siliceuses et conchoïdales sont assez rares sur le territoire québécois et les régions avoisinantes du Nord-Est nord-américain (ci-après Nord-Est). Il s’agit de roches comme le quartz, le quartzite (une roche composée de sable très pur altérée par la pression et la chaleur; le métamorphisme), la rhyolite (roche ignée qui a coulé comme la lave), le chert (une roche sédimentaire équivalente du silex utilisé en Europe), le mudstone ou schiste argileux (roche sédimentaire moins fine que le chert), et la cornéenne (une roche métamorphique trouvée autour des Montérégiennes).

Les Autochtones qui ont peuplé le Québec et le Nord-Est ont dû trouver les affleurements de roches qui étaient propices pour la fabrication d’outils. Cette compréhension de la géologie régionale démontre la connaissance intime que les Autochtones avaient du territoire et de ses ressources naturelles. L’extraction se faisait aux affleurements et les archéologues ont découvert plusieurs carrières qui ont été exploitées depuis la période paléoindienne (env. 12 000 ans AA) jusqu’au 17e siècle.

Les outils en pierre polie et les parures

Les hommes et les femmes Autochtones ont aussi fabriqué des outils en pierre polie comme des haches, herminettes, gouges, couteaux semi-circulaires (ulus), pointes et baïonnettes. À cette fin, ils ou elles ont surtout utilisé des roches métamorphiques, qui ont des qualités différentes de celles des roches siliceuses conchoïdales utilisées pour la fabrication des couteaux et des grattoirs par exemple. On parle ici de roches comme le phyllade, le schiste ou l’ardoise. Les Autochtones taillaient d’abord les formes générales, appelées ébauches, pour ensuite les boucharder en les picotant avec une autre roche, et finalement ils ou elles polissaient les tranchants sur une pierre avec de l’eau et du sable. Les roches métamorphiques sont plus fréquentes au niveau géologique dans le Nord-Est, car elles composent une grande partie du Bouclier canadien et des Appalaches.

Une autre catégorie d’outils inclut les broyeurs et les pierres à moudre utilisés dans le passé pour broyer et moudre différentes matières, par exemple du maïs, des noix et même des colorants comme l’ocre rouge. Les Autochtones ont utilisé surtout des grès (roche sédimentaire) pour fabriquer de grandes pierres à moudre, alors que les broyeurs ou molettes étaient souvent fabriqués dans des roches plus dures comme le granite ou la diorite.

Enfin, les Autochtones ont fabriqué des objets de parure comme des perles et des pendentifs avec des roches et des minéraux. Pour fabriquer ces objets, ils ont utilisé des roches comme l’ardoise et la stéatite (pierre à savon). La stéatite se trouve seulement dans certains contextes géologiques de roches métamorphiques contenant du talc. Ces roches se trouvent par exemple en Estrie, dans le nord de l’État de New York ou dans l’est de l’Ontario.

Identifier le type et la source géologique d’une roche utilisée pour fabriquer des outils ou des parures

Il est très commun de trouver sur les sites archéologiques préhistoriques des outils en pierre qui sont fabriqués avec des roches qui ne sont pas d’origine locale. Il peut alors être intéressant et utile pour l’archéologue d’identifier la source géologique d’une roche qui fut utilisée pour fabriquer des outils ou des perles. Pour commencer, il faut déterminer le type de roche. L’archéologue peut consulter un ou une géologue ou comparer ces artéfacts en pierre avec une collection de référence d’échantillons de roche, celle du Centre de référence lithique du Québec (CRLQ - http://www.avataq.qc.ca/fr/Institute/Departments/Archaeology/Online-Resources/Collections/crlq). Une fois que l’on sait de quel type de roche il s’agit, il est possible de mieux cibler la région géologique d’origine. L’étape suivante consiste à caractériser la roche en question. Pour ce faire, deux méthodes peuvent être utilisées : la pétrographie et la géochimie.

La pétrographie

La pétrographie est une technique qui existe depuis près de 200 ans. Les géologues utilisent la pétrographie pour identifier les minéraux qui forment une roche et déterminer le type et l’origine de celle-ci. Il faut couper un petit bloc de roche avec une scie munie d’une lame en diamant, et ensuite coller le bloc à une lame de verre. L’échantillon de roche est poli jusqu’à ce qu’il ait une épaisseur de seulement 0,03 millimètre pour fabriquer une lame mince permettant à la lumière de passer au travers. La lame mince est analysée avec un microscope pétrographique muni d’une lumière spéciale dite polarisée qui permet d’identifier les minéraux dans la roche.

Lame mince pétrographique
Lame mince pétrographique d’un échantillon de chert Hathaway provenant d’une carrière située dans le nord du lac Champlain au Vermont. Les couches et les taches noires sont des concentrations de minéraux ferromagnésiens, les points blancs vers le bas sont des radiolaires (fossiles), et les veines verticales sont des veines de quartz.
Fragment d’outil bifacial du site paléoindien Kruger 2
Fragment d’outil bifacial du site paléoindien Kruger 2, à Brompton (photo de Claude Chapdelaine), et image d’une lame mince pétrographique (grossissement 100x) de la même matière première. Il s’agit d’un grès très riche en silice. Pour le moment, nous ne connaissons pas la source géologique de cette roche. On peut voir les grains de quartz angulaires, subangulaires et subarrondis de quartz (blancs, gris et noirs) qui sont typiques de cette matière
Burke 2020
Biface en rhyolite du site Kruger 2
Biface en rhyolite du site Kruger 2, en Estrie. Image (grossissement 20x) d’un échantillon géologique de rhyolite provenant de la carrière préhistorique du mont Kineo (lac Moosehead, Maine) et image pétrographique en lame mince (100x) du même échantillon en lumière polarisée. On peut voir une matrice très fine de couleur verte avec de gros cristaux, appelés phénocristaux, de feldspath qui sont longs, rectangulaires et blancs ainsi que des billes de quartz. On peut voir aussi des petits phénocristaux noirs ferromagnésiens. Dans l’image en lame mince, on peut voir le minéral de feldspath qui montre un effet optique appelé maclage, comme les feuilles d’un livre.

La géochimie

La géochimie sert à caractériser la composition chimique d’une roche. Plusieurs techniques analytiques existent pour analyser une roche; les plus utilisées aujourd’hui en archéologie sont le ICP (émission à plasma relié par couplage inductif), l’activation neutronique et la fluorescence aux rayons X (XRF). Ces instruments requièrent, pour la plupart, des laboratoires et des professionnels spécialisés, mais le développement depuis 20 ans des instruments XRF portables a rendu plus accessible aux archéologues l’analyse géochimique des roches et autres artéfacts.

À quoi servent les analyses archéométriques des outils et des parures en pierre ?

Les caractéristiques minéralogiques d’une roche affectent sa mise en forme par la taille ou le bouchardage, ainsi que la performance de l’outil par la suite. L’analyse pétrographique d’une roche peut donc nous informer sur les caractéristiques qui font en sorte qu’elle est adéquate pour fabriquer un outil tranchant, par exemple. De plus, si nous pouvons identifier la source d’origine de la roche – la formation géologique – alors on peut aussi mieux étudier et comprendre la circulation de ces matériaux dans le passé. Les outils en pierre et la matière première ont circulé à l’intérieur de territoires d’occupation et d’exploitation annuelles via le déplacement des groupes jusqu’à ce que ces outils soient abandonnés sur un site archéologique. Ces roches ont aussi circulé par le biais d’échanges entre groupes voisins qui devaient se rencontrer et échanger ces roches, ainsi que des fourrures, des aliments, du tabac, des perles en coquillage et de nombreux autres artéfacts et matériaux que les archéologues trouvent loin de leur point d’origine et de fabrication.

Conclusion

Les archéologues trouvent régulièrement, lors des fouilles archéologiques, des artéfacts en pierre qui sont fabriqués avec des matières premières qui viennent de très loin. À l’aide de la pétrographie et de la géochimie, il est possible de caractériser ces roches et de déterminer leur point d’origine géologique et géographique. Avec cette information, les archéologues sont en mesure de reconstituer le territoire qu’un groupe pouvait exploiter durant l’année. La circulation de ces roches permet aussi d’établir la présence d’échanges commerciaux et d’interactions sociales entre groupes voisins dans le passé.

Pour en savoir plus

BARON, Anne, Adrian L. BURKE, Bernard GRATUZE et Claude CHAPDELAINE. « Characterization and origin of steatite beads made by Northern Iroquoians in the St. Lawrence Valley during the 15th and 16th centuries », Journal of Archaeological Science : Reports, vol. 8, p. 323-334, 2016.

BURKE, Adrian L. « La provenance des matières premières lithiques et la reconstitution des réseaux d’interactions », dans Norman Clermont, Claude Chapdelaine et Jacques Cinq-Mars (dir.), L’île aux Allumettes et l’Archaïque supérieur dans l’Outaouais. Paléo-Québec no. 30, Montréal, Recherches amérindiennes au Québec, p. 187-217, 2003.

BURKE, Adrian L. « Stone Tool Raw Materials and Sources of the Archaic Period in the Northeast », dans David Sanger et M.A.P. Renouf (dir.), The Archaic of the Far Northeast, Orono, University of Maine Press, p. 409-438, 2006.

BURKE, Adrian L. « La gestion des matières premières lithiques par les Paléoindiens récents de Kruger 2 », dans Claude Chapdelaine et Éric Graillon (dir.), Kruger 2 : un site du Paléoindien récent à Brompton. Paléo-Québec no. 39, Montréal, Recherches amérindiennes au Québec, 2020 (sous presse).

BURKE, Adrian L., Gilles GAUTHIER et Claude CHAPDELAINE. « Refining the Paleoindian Lithic Source Network at Cliche-Rancourt Using XRF », Archaeology of Eastern North America, vol. 41, p. 101-128, 2014.

GATES ST-PIERRE, Christian, Adrian L. BURKE, Gilles GAUTHIER et Greg KENNEDY. « Nouvelles données sur l’utilisation préhistorique de la cornéenne par les Amérindiens du Québec méridional », Canadian Journal of Archaeology, vol. 36, p. 289-310, 2012.

ROBINSON, Brian S., Jennifer C. ORT, William A. ELDRIDGE, Adrian L. BURKE et Bertrand G. PELLETIER. « Paleoindian Aggregation and Social Context at Bull Brook », American Antiquity, vol. 74, n° 3, p. 423-447, 2009.

Outils en rhyolite du site Cliche-Rancourt
Outils en rhyolite du site Cliche-Rancourt, en Estrie, sujets de l’analyse présentée dans les deux diagrammes de données géochimiques obtenues par analyse XRF des artéfacts.
photo de Claude Chapdelaine
Diagrammes de données géochimiques
Les deux diagrammes de données géochimiques obtenues par analyse XRF des artéfacts.montrent que les éclats et les fragments d’outils analysés sont clairement fabriqués avec la rhyolite, car ils tombent dans la zone du diagramme avec un profil chimique typique de ces roches
voir Burke et al. 2014
Biface en cornéenne de l’atelier du mont Royal
Biface en cornéenne de l’atelier du mont Royal, à Montréal, et analyse géochimique par XRF.
Diagramme d’analyse géochimique par XRF
Le diagramme d’analyse géochimique par XRF en araignée compare la composition de sept échantillons géologiques de la carrière préhistorique du mont Royal (fond gris) avec un éclat (deux faces) provenant du site archéologique de Pointe-du-Buisson, en Montérégie. La correspondance est excellente, ce qui suggère que les gens de Pointe-du-Buisson ont obtenu cette matière première sur le mont Royal
voir Gates St-Pierre et al. 2012
Deux perles en stéatite du site villageois iroquoien McDonald à Saint-Anicet
Deux perles en stéatite du site villageois iroquoien McDonald à Saint-Anicet, en Montérégie soumises à l’analyse géochimique par ICP.
photo Claude Chapdelaine
L’analyse par ICP
L’analyse par ICP montre les proportions de teneurs en zinc et en nickel pour des perles en stéatite de trois sites villageois iroquoiens de la région de Saint-Anicet et des échantillons géologiques provenant de l’Estrie, du nord de l’État de New York et de l’est de l’Ontario. Les données géochimiques montrent clairement que les perles sont fabriquées avec une stéatite qui provient de contextes de talc associés aux roches carbonatées. Ce type de talc-stéatite se trouve dans les roches des formations géologiques du nord de l’État de New York et de l’est de l’Ontario, et ne se trouve pas dans celles de l’Estrie.
voir Baron et al. 2016
Les territoires de deux groupes paléoindiens ayant occupé le site de Bull Brook au Massachusetts
Les territoires de deux groupes paléoindiens ayant occupé le site de Bull Brook au Massachusetts. Le groupe nord-sud utilise un territoire qui s’étale vers le Maine et le New Hampshire durant leur cycle saisonnier de déplacements. Ces gens ont exploité des carrières de chert à Munsungun, dans le Maine, et de rhyolite à Mount Jasper, dans le New Hampshire. Le groupe est-ouest occupe surtout le Massachusetts et la vallée de la rivière Hudson dans l’État de New York, où ils ont exploité les carrières de chert Normanskill.
(Robinson et al. 2009)
Les sites de l’île aux Allumettes et de l’île Morrison
Les sites de l’île aux Allumettes et de l’île Morrison, sur la rivière des Outaouais, ont été occupés durant l’Archaïque il y a environ 6000-5500 ans AA. Les gens qui ont occupé ces deux sites avaient des réseaux d’échanges très étendus qui leur permettaient d’avoir accès à du cuivre natif du lac Supérieur, divers cherts du sud de l’Ontario, et de la cornéenne et du quartzite de Montréal et du Vermont. Ces réseaux d’échanges démontrent que les groupes de l’Archaïque n’étaient pas du tout isolés
(Burke 2003, 2006)
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