Question d’archéométrie : Les méthodes de datation paléodosimétriques
Par Adelphine Bonneau
Il existe deux grands types de datation radiométriques :
- Celles reposant sur la croissance ou la désintégration radioactive d’isotopes d’un élément chimique.
- Celles reposant sur les dommages induits dans les minéraux par la radioactivité naturelle, appelées paléodosimétriques.
La partie 1 a introduit les méthodes basées sur la désintégration radioactive d’un élément chimique. La partie actuelle s’intéresse aux principes régissant les méthodes paléodosimétriques. Elle se conclut par un exemple d’application à travers lequel les erreurs les plus fréquentes sont abordées. Son but est d’informer et si possible d’éviter que des échantillons archéologiques ne soient irrémédiablement perdus sans qu’aucune datation ne soit possible.
Pour rappel, voici un résumé des évènements datés selon les méthodes de datation employées et les artéfacts ou écofacts sélectionnés :
- Charbons de bois
- Os et dents
- Coquillages
- Graines
- Textiles
- Résidus organiques
minescence et luminescence stimulée optiquement
- Roches
- Céramiques
- Sédiments
- Couches de calcite
- Cendres volcaniques
- Obsidiennes
- Roches
1. Les méthodes basées sur les dommages induits dans les minéraux par la radioactivité naturelle
Lors de la désintégration radioactive, l’élément père émet un rayonnement ou une particule pour devenir l’élément fils. Si ces rayonnements et particules entrent en collision avec un électron, ils peuvent l’ioniser, c’est-à-dire lui donner de l’énergie. Afin de perdre cette énergie, l’électron va émettre à son tour un rayonnement. Il arrive parfois que l’électron ne revienne pas à sa position initiale et qu’il se retrouve piégé dans un défaut cristallin.
Les minéraux sont constitués d’atomes liés entre eux selon une forme qui se répète dans l’espace, créant un réseau cristallin. Celui-ci n’est pas parfait. Il arrive que des atomes soient manquants ou qu’ils soient remplacés par un autre atome. Cela crée un défaut cristallin. Certains ont la capacité d’attirer et de retenir des électrons. Le nombre d’électrons piégés est constant et dépend de la radioactivité ambiante.
Pour obtenir un âge, il suffit de connaitre le nombre total d’électrons piégés (appelée paléodose, exprimée en gray ou Gy) et le nombre d’électrons piégés chaque année en fonction de la radioactivité ambiante (appelée dose annuelle, exprimée en gray par année, Gy.an-1).
Age = Paléodose / Dose annuelle
Les méthodes de datation reposant sur ce principe sont dites paléodosimétriques. Ce sont la thermoluminescence, la luminescence stimulée optiquement (OSL) et la résonnance paramagnétique électronique. Elles s’appliquent uniquement sur les quartz et les feldspaths potassiques. Il n’est pas possible de compter directement les électrons piégés dans les défauts cristallins des minéraux. Néanmoins, lorsque ceux-ci sont libérés d’un piège, ils émettent des rayonnements dont certains sont visibles. C’est la luminescence.
Deux méthodes de datation ont été développées dans les années 1950 et 1960 basées sur le principe que le nombre d’électrons piégés est proportionnel à la luminescence émise. Ce sont la thermoluminescence et la luminescence stimulée optiquement. Dans le premier cas, les électrons sont libérés par chauffage. Dans le deuxième, un laser monochromatique est employé.
Prenons l’exemple d’un objet en céramique. L’argile, contenant des quartz et des feldspaths potassiques, s’est formée il y a plusieurs millions d’années. Les défauts cristallins des quartz et des feldspaths potassiques sont saturés d’électrons. Lors de son utilisation pour la fabrication d’un objet en céramique, ses défauts sont complètement vidés par la chauffe. Au cours de sa « vie », l’objet va être chauffé et exposé à la lumière du jour. Les pièges à électrons sont vidés en continu.
Lors de l’abandon de l’objet, celui-ci est recouvert par le sol et protégé de la lumière du jour. Les électrons s’accumulent au fil du temps et de la radioactivité ambiante. Lors de la découverte de l’objet sur le site archéologique, il est transporté au laboratoire où les électrons seront libérés pour réaliser la mesure de la paléodose. Un échantillon de sédiment entourant l’artéfact doit être collecté pour déterminer la dose annuelle. Une fois, ces deux données en main, la date de l’enfouissement de l’objet peut être établie (si inférieure à - 500 000 ans).
2. Exemple d’application : les erreurs à ne pas commettre
Puisque l’adage dit que nous apprenons plus de nos erreurs que de nos succès, l’exemple qui suit a été sélectionné afin d’expliquer les erreurs fréquentes lors de la collecte d’échantillons, de la transmission d’informations et de l’interprétation pour la datation en archéologie.
Lors de fouilles sur un site préhistorique au Québec, une grande quantité d’os calcinés, quelques charbons et deux foyers ont été découverts. Lorsqu’un os est chauffé, il perd tout d’abord sa partie organique qui se consume et devient noir. Si cette chauffe se prolonge et surtout que la température dépasse les 700 °C, la matière organique est complètement dissoute, et l’os devient blanc. Il est alors dit « calciné » ou « blanchi ».
Les types d’outils lithiques mis au jour sur ce site sont attribués à une période autour de 6000 BP. Les archéologues souhaitaient confirmer cette attribution chronologique avec des dates radiométriques. La présence d’os calcinés, de charbons de bois et de foyers avec des roches et des sols chauffés était encourageante. Les os calcinés et les charbons ont été sélectionnés pour une datation par le radiocarbone et les roches et sols chauffés pour une datation par OSL.
La datation par le radiocarbone
Lors de la prise d’échantillons, les os et les charbons de bois ont été pris à pleine main, stockés dans des sacs en plastique et transmis avec l’information « os » et « charbons de bois » au laboratoire de datation. Les âges obtenus variaient de 90 à 2500 cal. BP.
Une datation par le radiocarbone nécessite d’extraire le carbone présent dans un échantillon. Mais le carbone est présent partout dans l’environnement : sur nos doigts, sur nos vêtements, sous forme de plastique, etc. Lors de la prise d’échantillon pour le radiocarbone, il est nécessaire de procéder avec des outils propres, de porter des gants et, si possible, de conserver les spécimens dans du papier aluminium ou des flacons en verre préalablement nettoyés. Les gants et autres outils à usage unique doivent être changés entre chaque échantillon. Les autres instruments doivent être nettoyés, de préférence avec du méthanol et être bien secs avant de procéder à la collecte d’un autre échantillon.
La procédure conventionnelle de datation d’un os extrait le collagène. Mais dans le cas des os calcinés, le collagène n’est plus présent. Il a été détruit par la chauffe. Il faut donc procéder avec les carbonates de calcium qui, au contraire du collagène qui date la mort de l’animal, date le moment de calcination de l’os. Le fait que les os soumis étaient calcinés n’avait pas été transmis au laboratoire de datation. Celui-ci a donc tenté d’extraire le collagène et, ce faisant, a selon toute vraisemblance collecté des acides humiques présents dans le sol et de la graisse présente sur les doigts des fouilleurs. Le résultat fut une date de 90 à 200 ans pour un animal ayant vécu il y a 6000 ans.
La datation par OSL
Trois roches et un tube de sol chauffés ont été collectés pour la datation par OSL. Les roches ont été emballées dans un sac poubelle noir et épais afin qu’elles ne voient pas la lumière du jour. Le tube de sol a été prélevé depuis la surface du sol, de façon perpendiculaire aux strates du site. Le sol chauffé se retrouvait ainsi pris entre plusieurs autres couches de sédiments dans le tube.
L’ouverture des échantillons a eu lieu sous lumière rouge au laboratoire de luminescence, environnement similaire à un laboratoire de développement photographique. La lumière rouge permet de préparer les artéfacts sans libérer les électrons piégés dans les minéraux. Malheureusement, sous lumière rouge, il est impossible de distinguer un sol chauffé d’un sol « normal » puisqu’ils apparaissent tous les deux rouges. Le tube de sédiments aurait dû être prélevé de façon perpendiculaire dans la couche stratigraphique afin de ne collecter que le sol chauffé et rien d’autre. Cet échantillon n’a donc pas pu être traité.
Les trois roches collectées ont été préparées, mais deux d’entre elles ne contenaient ni quartz ni feldspaths potassiques. Elles n’ont donc pas pu être datées. Des âges de 3,37 ± 0,17 ka et 3,95 ± 0,16 ka ont été obtenus respectivement sur les feldspaths potassiques et les quartz de la dernière roche chauffée. Bien qu’ils soient cohérents l’un avec l’autre, ils sont loin de l’attribution chronologique de 6000 BP basée sur les types d’outils lithiques. L’explication se trouve dans la position des roches sur le site archéologique. Pour qu’un échantillon soit datable en OSL, il est recommandé qu’il soit retrouvé à au moins 50 cm de profondeur, afin d’éviter de possibles « remises à zéro », c’est-à-dire la libération d’électrons due à la lumière du jour, lors de glissements de terrain par exemple. Dans le cas de ces trois roches, elles ont été mises au jour à 30 cm de profondeur sur une terrasse fluviatile. La date obtenue est peut-être exacte. Elle ne correspond pas à la chauffe de la roche, mais à la dernière fois qu’elle a été exposée à la lumière du jour. C’est donc ici un âge minimum, également appelé terminus ante quem.
Cet exemple démontre que la présence d’artéfacts « datables » sur un site archéologique ne conduit pas forcément à des âges fiables d’un point de vue scientifique et interprétatif. Il est nécessaire de comprendre les méthodes employées, leurs limites et surtout de discuter avec des spécialistes pour éviter ces écueils. Toutes les techniques de datation sont destructives et requièrent des quantités allant de la dizaine de milligrammes à plusieurs centaines de grammes. Il est donc impératif de prendre toutes les précautions nécessaires et de planifier en amont les datations.
En savoir plus
Datation par luminescence et la thermoluminescence
Adamiec, G. and M.J. Aitken, Dose-rate conversion factors: update. Ancient Thermoluminescence, 1998. 16(2) : p. 37-50.
Aitken, M.J., An introduction to optical dating : the dating of quaternary sediments by the use of photon-stimulated luminescence. 1998, Oxford : Oxford University Press.
Aitken, M.J., Thermoluminescence dating. Studies in archaeological science. 1985, London : London Academic Press.
Duller, G.A.T., Luminescence dating guidelines on using luminescence dating in archaeology. 2008, Swindow : English Heritage. 43.
Hardy, F. and L. Forget Brisson, La luminescence au service de la chronologie archéologique : principes, contextes et échantillonnage. Archéologiques, 2018. 30 : p. 93-104.
Lamothe, M., L. Forget Brisson, and H. Francois, Circumvention of anomalous fading in feldspar luminescence dating using Post-Isothermal IRSL. Quaternary Geochronology, 2020. 57 : p. 101062.