Emballage d'artefacts
EN COULISSE > RUBRIQUES D'EXPERTS > QUESTIONS D'ARCHÉOMÉTRIE > Questions d’archéométrie : les analyses zooarchéologiques

Questions d’archéométrie : les analyses zooarchéologiques

Par Claire St-Germain et Michelle Courtemanche, zoorarchéologues, Ostéothèque de Montréal, Université de Montréal.

Depuis belle lurette, les humains entretiennent des relations plurielles avec les autres animaux : alimentaires, artisanales, rituelles, cultuelles, médicinales et d’autres encore. La zooarchéologie est la discipline de l’anthropologie qui s’intéresse aux relations des humains avec le  monde animal à travers les âges. Les zooarchéologues étudient essentiellement les restes des animaux découverts lors des fouilles archéologiques. Le but premier de la zooarchéologie consiste à identifier et à quantifier les différentes espèces exploitées par les humains afin de décrypter leur signification culturelle pour une société donnée. Heureux mariage entre la zoologie et l’archéologie, cette discipline requiert de solides connaissances en anatomie animale et en zoologie.

L’étude des restes archéologiques d’animaux

La matière première des études zooarchéologiques est constituée par l’ensemble des restes d’animaux prélevés sur les sites archéologiques. Il peut s’agir de restes de coquilles d’œufs et d’invertébrés tels que des mollusques, des insectes ou des parasites, mais le plus souvent, toutefois, ce sont des restes squelettiques appartenant à des mammifères, des oiseaux, des reptiles, des amphibiens et des poissons. Pour parvenir à identifier ces ossements d’animaux vertébrés, le zooarchéologue a recours à une boîte à outils indispensable : la collection ostéologique de référence. Cette dernière recèle des squelettes en pièces détachées de divers vertébrés peuplant le territoire à l’étude. Chaque espèce y est représentée par plusieurs individus (des jeunes, des adultes, des mâles ou des femelles) afin de refléter au mieux la variété des animaux exploités par les humains. La constitution d’une telle collection est le fruit d’un long travail minutieux et précis puisqu’elle est garante de la validité des identifications. D’autant que les restes zooarchéologiques dûment identifiés sont régulièrement à la base d’autres études scientifiques. Cela dit, des planches anatomiques (dessins détaillés des os) et des collections virtuelles en 3D peuvent apporter un support complémentaire à l’analyste.

Collection de référence de l’Ostéothèque de Montréal
Collection de référence de l’Ostéothèque de Montréal
© Ostéothèque de Montréal, Inc.

Au laboratoire, l’identification des éléments squelettiques est réalisée suivant le principe de l’anatomie comparée : chaque pièce squelettique archéologique est comparée aux spécimens de la collection de référence jusqu’à ce qu’on parvienne à déterminer l’espèce concernée. Outre la reconnaissance de l’animal, d’autres informations pertinentes sont aussi colligées : estimation de l’âge et du sexe, marques anthropiques de transformation, traces de modifications naturelles, pathologies, etc. Toutes ces observations servent à reconstituer l’exploitation et l’utilisation des divers animaux présents dans l’assemblage archéologique. Une collecte méticuleuse sur le terrain, accompagnée du tamisage des sols, permet de récupérer une bonne proportion des restes animaux, représentant ainsi le plus fidèlement possible l’exploitation des divers habitats.

Identification de restes squelettiques de poissons
Identification de restes squelettiques de poissons
© Ostéothèque de Montréal, Inc.

Après avoir enregistré toutes les données significatives, le chercheur doit procéder aux décomptes du matériel faunique afin de répondre à diverses questions : nombre d’espèces et d’individus présents, parties de squelettes représentées, traces relevées sur les os, répartition spatiale des espèces, pour n’en citer que quelques-uns. Les quantifications permettent de mettre en relation les données et de les comparer afin de comprendre la contribution relative des différents animaux. Tous ces dénombrements sont une étape indispensable à l’interprétation de l’assemblage faunique soumis à l’étude et ouvrent la voie à la compréhension des comportements humains.

Le zooarchéologue travaille avec du matériel d’origine organique qui a subi les assauts du recyclage naturel. L’étude de tous les processus qui affectent une carcasse animale depuis sa mort jusqu’à son analyse s’appelle taphonomie. En effet, les déchets organiques subissent de multiples altérations qui entrainent des pertes d’informations. Les dégradations peuvent être d’origine naturelle (par exemple : gel/dégel, radicelles, grugeage par un rongeur) ou culturelle (par exemple : dépeçage, préparation alimentaire ou fabrication d’outil). C’est par l’analyse détaillée des traces présentes sur les os et les dents que l’on peut remonter l’histoire taphonomique d’un assemblage. Il s’agit d’une étape essentielle pour être en mesure de qualifier l’intégrité et la nature des restes fauniques.

Résultats et contribution : un os dans la moulinette du zooarchéologue

Au Québec, le matériel faunistique provient de sites archéologiques de la période préhistorique et de la période historique. La chasse, la pêche, l’élevage de même que les transformations alimentaires et non alimentaires des ressources animales sont autant d’activités que les analyses zooarchéologiques s’efforcent de mettre en lumière. Des os et des dents récupérés au cours de fouilles archéologiques témoignent de l’exploitation d’un animal, depuis sa mise à mort jusqu’aux diverses transformations nécessaires à l’usage auquel il est destiné. Chaque reste squelettique peut donc potentiellement être un vecteur d’information pertinente. L’ensemble de ces ossements peut exprimer la fonction des sites : camp de chasse, de pêche, maisonnée, ferme d’élevage, espace rituel, etc.

Les pratiques de chasse et de pêche par des groupes humains préhistoriques peuvent être révélées par la présence de restes squelettiques d’animaux appartenant exclusivement à la faune sauvage d’un territoire donné. Il peut être possible d’y déceler une préférence pour certaines espèces, attestant une prédation sélective où seules quelques-unes d’entre elles auraient été sélectionnées, ou encore une exploitation plus généralisée, reflétée par un large éventail d’espèces peuplant le territoire. La saison de capture des animaux et le moment de l’année pendant lequel le site archéologique a été occupé sont d’autres informations obtenues grâce aux restes animaux. La composition des proies reconnues dans les assemblages fauniques permet ainsi de mettre en évidence les critères de choix des chasseurs et des pêcheurs.

La question de l’essor de la domestication des animaux est un sujet central en archéologie. Elle procède d’une modification majeure des interactions entre les animaux et les sociétés qui vont adopter ce nouveau mode de subsistance basé sur la production alimentaire. Les espèces domestiquées suivront les parcours migratoires des populations d’éleveurs. C’est ce qu’on observe au Québec avec l’arrivée des Européens dès le XVIe siècle : ils ont débarqué accompagnés de leurs animaux domestiques. Cochon, bœuf et mouton, entre autres, seront source de viande, de lait, de force motrice et de laine pour les nouveaux arrivants. Cette faune introduite est la signature de la présence européenne dans les assemblages fauniques de la période historique.

Que ce soit des assemblages fauniques générés par des pratiques de prédation ou d’élevage, les témoins squelettiques seront évalués selon divers critères zooarchéologiques. Ainsi, l’estimation de l’âge et du sexe des animaux abattus seront utiles à la compréhension de la gestion et de la structure des populations des bêtes exploitées. L’observation des techniques d’équarrissage des carcasses pourra révéler quels produits en ont été tirés : découpe des quartiers de viande, découpe de détail, désossage, produits dérivés, tels que la peau pour la confection de vêtements par exemple, ou encore des matières dures comme les andouillers, les dents et les os destinés à devenir des outils, des armes, des objets de parure, etc.

La zooarchéologie, par l’analyse de ces témoins écologiques du passé, permet aussi de mettre au jour la distribution de la faune sauvage et domestique à travers le temps et les espaces géographiques. Des espèces rares ou maintenant éteintes sont parfois repérées dans des assemblages squelettiques, telle la tourte voyageuse disparue au XIXe siècle. Ce travail permet de dresser des cartes spatiales et temporelles de répartition des espèces, autrement effacées de la mémoire collective.

Conclusion

La consommation alimentaire et non alimentaire des animaux fait partie intégrante de l’histoire humaine. Les restes fauniques fournissent des informations utiles et éclairantes sur divers comportements humains fondamentaux. Pensons aux sites archéologiques préhistoriques, pour lesquels les données zooarchéologiques viennent pallier l’absence de textes pour rendre compte des pratiques de chasse et de pêche. Dans le cas des assemblages fauniques issus de sites historiques, la zooarchéologie vient parfois appuyer ou infirmer les écrits qui nous sont parvenus.

L’histoire des animaux se conjugue avec l’histoire humaine. La zooarchéologie permet d’aborder une part importante de l’adaptation des sociétés à leur environnement. Elle contribue de façon significative à la compréhension de multiples facettes des cultures humaines étroitement associées à la faune. La zooarchéologie, dès lors, alimente et nourrit le bagage scientifique des connaissances tant sur l’histoire humaine que sur celle des autres animaux.

Os archéologiques de poissons
Os archéologiques de poissons
© Ostéothèque de Montréal, Inc.
Squelettes de référence de chats domestiques
Squelettes de référence de chats domestiques
© Ostéothèque de Montréal, Inc.
Identification de restes squelettiques de mammifères
Identification de restes squelettiques de mammifères
© Ostéothèque de Montréal, Inc.
Radius d’Ovicapriné (mouton ou chèvre) avec traces de radicelles
Radius d’Ovicapriné (mouton ou chèvre) avec traces de radicelles
© Ostéothèque de Montréal, Inc.
Fémur d’Ovicapriné (mouton ou chèvre) avec traces de découpe
Fémur d’Ovicapriné (mouton ou chèvre) avec traces de découpe
© Ostéothèque de Montréal, Inc.
Os crâniens de cochon domestique (site Pointe-à-Callière BjFj-101).
Os crâniens de cochon domestique (site Pointe-à-Callière BjFj-101).
© Ostéothèque de Montréal, Inc.
Os postcrâniens de cochon domestique (site Pointe-à-Callière BjFj-101).
Os postcrâniens de cochon domestique (site Pointe-à-Callière BjFj-101).
© Ostéothèque de Montréal, Inc.
© 2020 Pointe-à-Callière, cité d'archéologie et d'histoire de Montréal. Tous droits réservés.
Logo de ARCHÉOLAB