Questions d’archéométrie : les analyses archéobotaniques
par Anne-Marie Faucher, Ph. D., GAIA, coopérative de travail en archéologie
Parmi les spécialisations de la science archéologique se trouve l’archéobotanique, dont les débuts remontent au XIXe siècle. L’archéobotanique est l’étude des relations anthropo-environnementales (l’humain et son environnement) qui permet de retracer les particularités de l’utilisation des végétaux par les populations passées et d’identifier les changements dans le paysage culturel. Pour ce faire, plusieurs types de restes végétaux préservés sur les sites archéologiques sont étudiés par les archéologues spécialistes, dont les graines, les charbons de bois, les diatomées, les phytolithes, les grains d’amidon et les grains de pollen. L’archéobotanique est polyvalente et inclusive, puisqu’elle peut être appliquée à l’ensemble des sites archéologiques terrestres et subaquatiques, ainsi qu’à toutes les périodes et régions culturelles.
Les restes végétaux
Les restes végétaux trouvés en milieux archéologiques proviennent de diverses parties anatomiques de la plante. Leur morphologie, leur rôle, leur mode de dissémination et leur tolérance vis-à-vis des processus taphonomiques (l’ensemble des processus naturels et anthropiques pouvant altérer d’une manière ou d’une autre la préservation dans le temps) diffèrent inévitablement d’une partie à l’autre et d’un type de reste à l’autre. Par exemple, les grains d’amidon ne se préservent pas sous l’effet de la chaleur, alors que les grains de céréales et le bois résistent bien à la carbonisation. Une variabilité est également observable à l’intérieur d’un même type de reste. Par exemple, la fragmentation du bois par le feu varie selon les espèces.
L’étude de chaque type de reste nécessite une formation spécifique, puisque les équipements et les techniques analytiques employées varient en fonction du type de reste étudié. Il existe donc plusieurs sous-disciplines archéobotaniques, comme l’étude des graines ou des charbons de bois, et les spécialistes en maitrisent habituellement une ou deux seulement.
Au Québec, les graines, les charbons de bois, les grains d’amidon, les phytolithes et les grains de pollen provenant de sites archéologiques font l’objet d’analyses archéobotaniques. Cependant, les graines et les charbons de bois sont les plus fréquemment étudiés. Ils sont groupés sous le terme de macrorestes, alors que les grains d’amidon, les phytolithes et les grains de pollen, invisibles à l’œil nu, représentent les microrestes.
Prélèvement des échantillons
Le prélèvement d’échantillons archéobotaniques s’effectue sur le terrain durant les interventions archéologiques. La nature du site, du type de reste botanique à analyser et des objectifs scientifiques est à prendre en considération lors de l’élaboration de la stratégie d’échantillonnage pour garantir la validité et la portée des résultats. Il n’existe pas de protocole d’échantillonnage universel, mais toutes les stratégies doivent reposer sur des critères scientifiquement rigoureux et tenir compte des questions de recherche, de la nature des dépôts, des contraintes du terrain, etc. Les contextes archéologiques les plus propices à la bonne préservation des macrorestes végétaux sont les couches incendiées, les foyers, les dépotoirs et les milieux anaérobiques ou scellés, comme les latrines. Les contextes de préservation idéaux des microrestes varient énormément. Les résidus trouvés sur les artéfacts céramiques et lithiques sont souvent échantillonnés pour l’analyse des grains d’amidon et des phytolithes, alors que les milieux tourbeux et lacustres conviennent davantage au prélèvement de grains de pollen.
Le traitement et l’analyse
Plusieurs étapes sont nécessaires à l’analyse archéobotanique. La première est le traitement des échantillons en laboratoire qui sert principalement à concentrer les restes végétaux de manière à pouvoir les séparer de la matrice sédimentaire. Les macrorestes botaniques n’ont souvent besoin que d’un traitement rapide et doux à l’eau pour faire flotter les restes végétaux qui sont par la suite recueillis dans une colonne de tamis géologique (1 mm, 500 µm et 250 µm).
©GAIA, Anne-Marie Faucher 2017
L’extraction des microrestes nécessite quant à elle l’utilisation d’installations et de produits spécialisés, comme des centrifugeuses, divers acides, des liquides denses, etc. La durée du traitement varie de 12 heures à plusieurs jours pour chaque échantillon.
©Anne-Marie Faucher 2012
©Anne-Marie Faucher, 2012
L’identification, toujours au plus petit niveau taxonomique possible, s’effectue en utilisant des ouvrages et des collections de référence et en suivant la nomenclature scientifique. De son côté, la quantification suit un protocole systématique établi pour chaque sous-spécialisation et peut s’accompagner de calculs statistiques simples comme les ratios et les proportions. En combinant les résultats obtenus aux autres données archéologiques provenant de l’intervention, cette démarche amène l’archéobotaniste à interpréter les résultats au meilleur de ses connaissances.
À quoi sert l’archéobotanique?
Les analyses archéobotaniques servent à répondre à de nombreuses questions archéologiques et apportent de nouvelles connaissances, à l’instar des autres types d’analyses, sur le mode de vie, une population, un site ou encore un phénomène archéologique tel que l’apparition de l’agriculture, pour ne nommer que ceux-ci. Comme la plupart des analyses spécialisées en archéologie, l’archéobotanique sert également à étudier certains phénomènes humains fondamentaux, comme le développement et la diffusion de l’agriculture, les réseaux d’échanges, l’évolution de l’alimentation humaine et l’impact des modifications de l’environnement par les humains. D’un point de vue plus spécifique, les études des restes végétaux permettent de mieux comprendre la diète des individus, les modes d’approvisionnement en ressources végétales et la manière de d’en faire l’exploitation (utilisation alimentaire, artisanale ou médicinale), l’utilisation des matériaux de construction d’origine végétale ou encore les essences d’arbres utilisées comme combustible. Certains types de restes permettent également de reconstituer une partie de l’environnement et de l’évolution du paysage dans une région donnée, ou encore de déterminer précisément la fonction d’un objet, d’une structure ou d’un site.
Multidisciplinarité archéobotanique, un atout
La combinaison des différentes analyses archéobotaniques augmente la portée et la précision des interprétations archéologiques. La multidisciplinarité archéobotanique, c’est-à-dire la combinaison d’analyses de plusieurs types de restes végétaux, est donc un atout à ne pas négliger afin d’obtenir le portrait le plus réaliste possible des relations humains-plantes dans le passé. Au Québec, l’archéobotanique est une discipline encore jeune et aucune étude effectuée en contexte archéologique québécois n’a encore appliqué l’approche multidisciplinaire. Cependant, puisque la tendance actuelle favorise la formation de spécialistes et la mise sur pied de laboratoires équipés pour ce type d’analyse, il ne fait pas de doute que de telles recherches viendront bientôt enrichir nos interprétations.
L’approche multidisciplinaire a été utilisée pour l’analyse archéobotanique de la période précolombienne sur l’île caribéenne de Barbuda. Les données recueillies provenant des graines, des charbons de bois, des phytolithes et des grains d’amidon ont révélé la présence de graines de petits fruits, de légumineuses et de mauvaises herbes. L’analyse du charbon de bois a permis d’identifier les essences d’arbre utilisées comme combustible et, combinée aux mauvaises herbes identifiées, d’amener de l’information supplémentaire sur la végétation avoisinante du site. De plus, des informations sur la gestion de la ressource forestière et de la progression de la végétation secondaire ont été mises au jour. L’analyse des grains d’amidon et des phytolithes dans les sédiments et sur les artéfacts est venue bonifier les données sur l’alimentation des populations de l’île. La marante semble avoir été une plante de prédilection dans l’alimentation barbudienne précolombienne, alors qu’aucune trace de maïs ni de manioc n’a été trouvée, comparativement aux sites des îles avoisinantes. Les analyses des microcharbons ont aussi permis de raffiner les périodes d’occupation de l’île par l’identification d’épisodes de déforestation précis. Cette étude de cas, très brièvement résumée, permet néanmoins de démontrer l’apport multidisciplinaire archéobotanique à la compréhension des phénomènes archéologiques.
Conclusion
En somme, une bonne analyse archéobotanique combine plusieurs types de restes végétaux et fait appel à une stratégie d’échantillonnage adaptée à chaque intervention. Ultimement, les données archéobotaniques, combinées à l’information issue d’autres vestiges matériels provenant des interventions archéologiques, permettent de dresser le meilleur portrait possible des relations entre les humains et leur environnement sur le site étudié.
©GAIA, Stéphane Noël 2019
©GAIA, Anne-Marie Faucher 2014
©GAIA, Dorothée Dubé 2016
©Pointe-à-Callière, photo Marie-Michelle Dionne, 2020
©Pointe-à-Callière, photo Marie-Michelle Dionne, 2020
©Anne-Marie Faucher, 2012
©Anne-Marie Faucher, 2012
©GAIA, Anne-Marie Faucher 2017
©GAIA, Anne-Marie Faucher 2016