Questions d'archéométrie : l'archéométallurgie
par Louis-Olivier Lortie, PhD, Archéométallurgiste
L'objet d'étude
La production de métaux est un processus long et complexe. Les pratiques qui participent aux processus de fabrication des objets en métal sont organisées autant dans l'arène locale que régionale, et de nos jours, même internationale. La dispersion des ressources minérales métallifères et leur relative rareté nécessitent une organisation complexe pour en assurer l'exploitation. En effet, il est essentiel d'acheminer toutes les ressources nécessaires à la production métallurgique de leur source jusqu'au lieu de production et de transporter ensuite le produit fini en lingots ou en barres jusqu'aux artisans qui les transforment, ou jusqu'à un lieu d'échange. Ces gens ou ces endroits peuvent être à des centaines ou à des milliers de kilomètres du lieu de production, ce qui nécessitera un réseau d'échange développé avec des moyens de transport fiables. Les objets produits seront à leur tour échangés et utilisés localement ou même régionalement. Ainsi, la production de métaux et d'objets de métal aura un impact significatif dans la vie de nombreuses personnes, autant les consommateurs que les producteurs et les transporteurs.
L'archéométallurgiste
Ce sont ces dynamiques qui sont au cœur des préoccupations des archéométallurgistes. Cette branche de l'archéologie obtient de l'information sur les pratiques métallurgiques anciennes grâce à des typologies ainsi qu'à des analyses archéométriques sur des objets métalliques et les déchets de productions métallurgiques. Les champs d'intérêt des archéométallurgistes sont, entre autres, la recréation des pratiques et des gestes des artisans, la compréhension de l'organisation de l'espace de travail de ces derniers, la documentation des techniques que ces gens employaient, l'élucidation des procédés physico-chimiques menant à l'obtention des métaux anciens, la caractérisation des réseaux d'échange de ressources, de commodités et de savoirs. Afin de cerner l'archéométallurgie et son champ d'études, il est important de réaliser que la métallurgie ancienne ne reposait pas nécessairement sur une compréhension scientifique et logique des processus physiques, mais plutôt sur une connaissance intime et sensorielle des matériaux utilisés par les artisans.
La production d'objets métalliques
Au centre des études archéométallurgiques se trouvent les processus de production des métaux. La compréhension de ceux-ci est fondée sur des sources textuelles partielles et des découvertes archéologiques qui ne peuvent à elles seules présenter une vision complète de l'artisan, de ses gestes et des outils utilisés. Les informations manquantes peuvent être suggérées à partir des reconstructions ou des approximations techniques effectuées par des spécialistes qui se basent soit sur l'expérimentation ou des parallèles ethnographiques ou modernes. En essence, bien que chaque métal possède ses caractéristiques physiques propres, les pratiques métallurgiques peuvent être subdivisées en deux groupes : la production primaire et la production secondaire.
La production primaire de métal correspond à la transformation du minerai et à sa coulée en lingots ou en d'autres formes. Cette production comprend toutes les étapes de transformation d'une roche métallifère en métal prêt à l'utilisation, c'est-à-dire l'extraction de la ressource minérale dans des mines souterraines ou à ciel ouvert, la préparation du minerai, la fonte de ce dernier grâce à un four en forme de bol, à un bas fourneau, à un haut fourneau ou à une autre forme de four, suivie de sa mise en forme et de l'épuration de la loupe obtenue, si désirée.
La production secondaire contient toutes les étapes menant du métal à un objet fini utilisable. Ces étapes sont la mise en forme qui demande l'emploi de techniques telles que la forge, le coulage, la soudure, le recuit ainsi que les décorations en tous genres créées par la mise en forme directe du métal comme le repoussage, la gravure ou le pressage, par exemple. De plus, les manipulations de recyclage et d'entretien d'objets finis endommagés, ou simplement parvenus à la fin de leur vie utile, sont incluses dans la production secondaire. Ces procédés peuvent prendre une multitude de formes étant donné les nombreuses étapes pouvant varier selon les choix et traditions des artisans et selon la ou les personnes qui dirigent la production ou y participent.
Chaque production métallurgique peut être associée à un de ces deux pôles, et ce, pour chaque métal travaillé par l'humain. Ainsi, bien que chaque métal soit différent, un certain savoir-faire commun peut être décelé chez les artisans du métal. En effet, chaque métal et chaque étape nécessite une connaissance approfondie des caractéristiques physiques des métaux qui relève des sens et de l'expérience ou de l'application d'une méthode scientifique. La production métallurgique nécessite également, chez les artisans plus anciens, une bonne connaissance de la céramique pour la préparation du four, une compréhension du maniement du feu avec contrôle, et même les connaissances nécessaires pour trouver les ressources essentielles au travail du métal.
Techniques d'analyse
Afin de documenter ces pratiques métallurgiques anciennes, plusieurs méthodes d'analyses peuvent être employées. Celles-ci visent différents niveaux de détails et renseignent les analystes sur différents points de la pratique métallurgique. Les déchets métallurgiques et les objets de métal sont tout d'abord soumis à un examen visuel pour en décrire les formes et les lier à un type particulier. Puis, ces pièces peuvent être soumises à une analyse microstructurale qui vise à identifier les formations cristallines métalliques au sein de l'objet ou du déchet créé durant leur formation. Les artéfacts métallurgiques peuvent aussi subir des analyses chimiques poussées afin de connaitre la composition chimique de ces objets. Ces analyses produisent toutes des résultats différents qui, lorsque conjugués, offrent une vision plus complète des procédés métallurgiques anciens, particulièrement si des analyses des déchets ainsi que des objets métalliques sont prises en un tout.
De plus, il est d'intérêt de se pencher sur l'utilisation de l'espace lors de production métallurgique. Ainsi, le sol au sein d'un espace de travail peut être analysé afin d'en connaitre la composition chimique afin de fournir une image de la répartition des éléments métallurgiques sur l'ancien plancher de travail de l'artisan. Il est aussi possible de mesurer la susceptibilité magnétique de ces mêmes sols afin d'identifier les zones de travail du fer au sein du lieu de travail. Ces deux derniers exemples de technique d'analyse spécialisée doivent, idéalement, être conjugués avec une analyse des concentrations d'artéfacts métallurgiques sur cette même zone.
Un terreau fertile pour la compréhension d'activités artisanales traditionnelles est l'archéologie expérimentale. En effet, cette branche de l'archéologie tente de recréer des pratiques artisanales anciennes en se basant sur les restes archéologiques, les savoirs ancestraux des artisans traditionnels et les hypothèses testées des chercheurs. Enfin, une source primordiale de savoir sur l'artisanat ancien se trouve chez les artisans traditionnels qui aujourd'hui même pratiquent leur art en utilisant des méthodes ancestrales et ainsi forment un lien essentiel entre les artisans anciens et les archéologues modernes.
Conclusion
L'archéométallurgiste tente de comprendre et de documenter les gestes, les savoir-faire, les décisions, les outils, les techniques, l'espace de travail, l'organisation de la production et l'impact de la production et de la consommation des objets de métal au sein des sociétés anciennes. Pour ce faire, il existe de nombreux outils permettant d'étudier les divers aspects de cet artisanat.
Étant donné la dispersion des ressources minérales métallifères et leur relative rareté, leur exploitation nécessite une organisation comportant différents niveaux.
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Lortie 2022
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